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Les enfants prophètes

Publié le 27 septembre 2012 par Perce-Neige
Les enfants prophètesÊtre toujours dignes de cette infinie terreur qui, pourtant, nous construit ? Être toujours dignes de ce qui, quotidiennement, nous résiste ? Peu d’entre nous le sommes, bien sûr… Alors… Simplement, savoir être dignes de ce que nous écrivons ou, plus encore, de ce qui nous écrit, ne serait, au fond, déjà pas si mal ! A ce propos, ou presque, Franz Kafka, le 13 juin 1920, à Mérano (tout un programme…)(vous voyez d’ici la scène !) écrit ceci à Miléna (cité par Claude Le Manchec in « En tout je n’ai pas fait mes preuves ». Choix de correspondances. Editions de l’éclat/éclats) : 
Regardez Milena, ce matin, je suis sur la chaise longue, nu, à moitié au soleil, à moitié à l'ombre, après une nuit quasiment sans sommeil; comment aurais-je pu dormir quand, trop léger pour le sommeil, je flottais sans cesse autour de vous et, c'est exactement ce que vous écrivez aujourd'hui, épouvanté par ce dont le destin me gratifiait, épouvanté comme ce qu'on raconte à propos des prophètes, qui étaient de frêles enfants (restés enfants ou redevenus enfants, peu importe), et qu'ils entendaient la voix les appeler, et ils étaient horrifiés, la peur leur déchirait le cerveau, et ils résistaient et enfonçaient les pieds dans le sol, car, ayant déjà entendu des voix qu'ils refusaient, ils ne comprenaient pas d'où venait le son terrifiant qu'ils entendaient - était-ce une faiblesse de leur oreille ou cela venait-il de la force de la voix? - et ils ne savaient pas non plus - c'étaient des enfants! - que la voix avait déjà gagné le combat et s'était introduite en eux à la faveur de cette peur justement qui étaient en eux, ce qui ne prouvait d'ailleurs rien quant à leur mission prophétique car beaucoup entendent la voix mais ne sont pas vraiment dignes d'elle, et il vaut mieux qu'ils disent non s'ils n'en ont pas la certitude - tel était mon état d'esprit quand vos deux lettres sont arrivées. Nous avons un trait de caractère commun, je crois, Milena : nous sommes si farouches et si craintifs; nos lettres sont différentes mais toutes ont peur de celles qui les précèdent et, plus encore, de celles qui les suivront. Cependant vous n'êtes pas craintive de nature, cela se voit facilement, et moi non plus, je ne le suis pas, mais c'est presque devenu une seconde nature; cela ne disparaît que dans le désespoir, à la rigueur dans la colère et, il ne faut pas l'oublier, dans la peur.

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