Faire visiter des labos à des collégiens pendant quelques jours lors du fameux stage de 3ème – mais siiiii… vous savez, quand le fils de votre gardienne squatte votre boulot pendant une semaine, touche à toutes les machines et vous pose plein de questions embarrassantes (ou pire, semble s’amuser à peu près autant qu’un supporter du PSG devant une reconstitution historique du grand débat d’Oxford Huxley vs. Wilberforce) -, c’est bien.
Mais les faire venir tout au long de l’année, leur faire mettre les mains dans le cambouis de la paillasse (c’est une image, hein, on n’est pas des porcs non plus), et leur permettre d’obtenir leur propres résultats, c’est mieux !
Dans la vie, il faut savoir viser haut !
C’est un peu comme ça qu’on pourrait résumer la philosophie de l’opération Apprentis Chercheurs, organisée chaque année par l’association L’Arbre des Connaissances, à laquelle j’ai eu la joie de participer il y a un peu plus d’un an.
L’idée est simple : un binôme constitué d’un collégien et un lycéen, venant d’un établissement du quartier, vient une après-midi par mois dans un labo, réaliser un petit projet de recherche tout au long de l’année scolaire sous la supervision d’un scientifique (ingénieur, doctorant, chercheur, etc.). A la fin de l’année, le binôme doit présenter ses résultats lors d’un congrès scientifique qui a lieu dans l’Institut qui l’a accueilli, et reçoit le diplôme d’Apprenti Chercheur !
Yeah, un diplôme !
Aujourd’hui, Scientigeek vous propose, à travers 3 points de vue croisés, un petit zoom sur cette action enthousiasmante et rafraîchissante, aussi bien pour ceux qui y participent en tant qu’Apprentis que pour leurs encadrants. Ces propos ont été recueillis en Mai dernier.
Morgane Le Bras et Valérie Lallemand-Breitenbach, chercheuses à l’Institut Universitaire d’Hématologie à l’hôpital Saint Louis, et membres de l’association L’Arbre des Connaissances.
Comment est née l’initiative Apprentis Chercheurs ?
Morgane Le Bras (MLB) : Il y avait déjà de l’accueil de jeunes dans les labos de Hugues de Thé et Ali Saïb depuis longtemps : accueil de classes pour visiter les labos, stages de 3ème, présentation du métier de chercheur… Mais cela restait sporadique. L’association a été créée en 2004 pour pérenniser ce contact entre jeunes et chercheurs, à travers l’opération Apprentis Chercheurs. Ali Saïb, qui connaissait beaucoup de chercheurs et d’enseignants motivés, a été l’un des principaux moteurs de la création de cette opération.
Valérie Lallemand (VL) : François Sigaux, le directeur de l’Institut Universitaire d’Hématologie (IUH) à Saint Louis, a aussi toujours été très enthousiaste, et d’un très grand soutien. Il nous a aidé à tous les niveaux : démarches pour obtenir des financements, constitution d’un réseau de chercheurs motivés, participation au congrès des Apprentis Chercheurs et en particulier à la remise des diplômes…
MLB : Dès la création de L’Arbre des Connaissances, nous avons voulu ajouter une dimension de communication avec la société. C’est pourquoi nous avons créé, sous l’impulsion de Dominique Vitoux en particulier, les Conférences de l’Arbre, qui traitent notamment de philosophie et d’histoire des sciences.
En ce qui concerne le choix des établissements scolaires participant à l’opération, nous avons dès le départ choisi la proximité entre centres de recherche et collèges/lycées, afin de dynamiser le tissu du quartier. Tout le monde passe devant les centres de recherches tels que le nôtre, sans forcément savoir ce qu’il s’y fait ! En fait, le but premier de l’opération Apprentis Chercheurs est de ramener la science à la maison, au collège/lycée, et de remettre la recherche dans un contexte que l’on oublie parfois.
Vous avez encadré des Apprentis Chercheurs au cours des dernières années. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
MLB : Sans hésiter, les questions spontanées que nous posent les Apprentis Chercheurs. Ce sont souvent des questions triviales, mais très bien vues ; des questions que l’on ne se pose plus (à tort !) à cause d’un certain formatage de la pensée académique. Par exemple, je me rappelle d’un étudiant qui m’avait demandé : « A quoi servent les protéines, puisqu’on les mange ? ». C’est très utile pour l’enseignement, car cela nous donne une idée du type de questions que se posent intérieurement nos étudiants sans oser les poser…
VL : Moi aussi, je dirai que ce questionnement est inestimable. Il permet d’être ouvert à la question de l’autre, d’amener de la hauteur de vue, d’apprendre à dire « je ne sais pas » , du haut de son savoir de chercheur. C’est ça aussi la science, savoir dire « je ne sais pas » ! Cette opération apporte énormément de plaisir dans la vie d’un chercheur, et permet d’oublier momentanément les frustrations présentes dans ce métier !
L’opération Apprentis Chercheurs existe maintenant depuis 8 ans. Où en est-on aujourd’hui ?
VL : L’association a pu recruter deux salariés pour coordonner ses différentes actions, Jérémie Cordonnier et Aude Védrines. L’action Apprentis Chercheurs a essaimé dans 14 centres de recherche en France, et mobilise chaque année 120 bénévoles encadrants. 150 Apprentis Chercheurs passent dans les labos chaque année !
Evolution du nombre d’Apprentis et d’encadrants
Quelles sont vos perspectives pour cette action, et les futurs projets de l’association ?
MLB : Nous souhaitons développer une opération Apprentis Chercheurs en Tandem. L’objectif est d’emmener les Apprentis Chercheurs à la fois dans des labos de recherche publics et relevant du domaine privé. L’idée est de montrer la complémentarité indispensable qui existe entre recherche académique et recherche appliquée.
VL : Un autre de nos projets en cours est la constitution d’un support de débat citoyen adressé aux jeunes, traitant de questions de science. Ce projet, intitulé Jouer à débattre, a été initié en partenariat avec l’Inserm et le Ministère de la Culture et de la Communication, et avec le soutien de la MGEN. La première édition de cette action se met en place avec une classe d’élèves de seconde, au lycée Maurice Genevois à Montrouge, en lien avec la médiathèque municipale.
A travers des débats sur le thème De l’Homme réparé à l’Homme augmenté, les professeurs de français et de SVT de cette classe initient les élèves à la prise de position. Ils leurs apprennent à trier les informations, à en donner la source, et les amènent à se poser des questions de type « Ce projet est-il réalisable ? Est-il souhaitable ? ».
Des séances sont consacrées à des rencontres avec des acteurs sélectionnés par L’Arbre des Connaissances, qui ont un point de vue singulier sur la question : par exemple des association de malades, des professionnels de l’éthique, etc. Les médiathèques sont particulièrement demandeuses d’outils de médiation scientifique innovants de ce type. Nous aimerions réaliser une version numérique de Jouer à débattre, et pourquoi pas un jeu de plateau !
L’ENS Lyon est un des lieux envisagés pour l’action Apprentis Chercheurs en Tandem
Ludovic Lehugueur, Apprenti Chercheur à l’Institut Pasteur, promotion 2012.
Comment as-tu entendu parler de l’opération Apprentis Chercheurs ?
Mon prof principal est mon prof de SVT, M. Vanhoutte. Il a parlé de cette opération en classe et cela m’a intéressé, car j’aime bien la génétique. C’est sur la base du volontariat, donc ce ne sont pas vraiment les parents qui poussent les élèves à participer…
Pourquoi as-tu décidé d’y participer ?
D’abord parce que je pense que c’est bien pour le bac de se familiariser avec les manips. Et puis j’avais envie de découvrir le monde d’un labo, le domaine scientifique. J’ai envie de continuer des études scientifiques, et pourquoi pas de devenir chercheur, donc c’est intéressant de voir ce que c’est concrètement.
Au départ je voulais être commissaire de police, je suis intéressé par la police scientifique… Mais un autre métier qui m’intéresserait serait ingénieur en informatique. J’hésite encore entre ça et chercheur, j’espère que cette expérience va m’aider dans ma décision.
Quel est ton projet au laboratoire ?
Avec Pascal, mon encadrant, on fait de la recherche sur plusieurs types de cellules qui sont atteintes de l’Hépatite B. Ce sont des lignées cellulaires cancéreuses qui viennent de plusieurs pays. L’objectif de mon projet savoir quelles sont les lignées qui contiennent le génome du virus de l’Hépatite B. Pour celles qui l’ont, on va déterminer quel génotype a infecté la cellule.
Qu’est-ce qui te plaît dans cette opération ? Qu’est-ce que cela t’apporte ?
Les manipulations surtout. C’est assez technique, avec les pipettes et tout, on n’est pas trop habitués à ça au lycée.
En parles-tu autour de toi ?
On va faire une présentation de type congrès en Juin à l’Institut Pasteur, où je vais devoir présenter mes résultats. Quand je rentre à la maison, je raconte ce que j’ai fait pendant la journée à mes parents. J’en parle aussi à mes amis, vu que je ne suis pas la mercredi après midi, je leur raconte ce que je fais !
La promotion 2012 des Apprentis Chercheurs de l’Institut Pasteur à la remise des diplômes.
Pascal Pineau, chercheur à l’Institut Pasteur.
Tout d’abord, peux tu nous parler brièvement de tes recherches ?
Je fais de la recherche sur le cancer du foie, une maladie qui touche plus de 600 000 personnes chaque année. Mon travail se situe à l’interface entre la médecine et la biologie.
Je m’intéresse à l’épidémiologie moléculaire du cancer du foie. Ce cancer est provoqué par de multiples facteurs de risques dont des virus tels que le virus de l’Hépatite B (VHB) ou de l’Hépatite C (VHC), l’alcool, le diabète et l’obésité, mais aussi des substances présentes dans l’environnement tels que des toxines produites par des champignons microscopiques qui contaminent les denrées alimentaires.
Sur le plan génétique, on peut dire qu’il y a plusieurs types de cancers si on considère les mutations, les anomalies chromosomiques, les défauts épigénétiques. Et de la même façon, il y a différents types moléculaires de cancers du foie.
On est au troisième millénaire, l’objectif aujourd’hui est de faire de la médecine personnalisée. Il faut donc tenir compte de la diversité des maladies et des cancers. Pour cela, à mon sens, il faut d’abord décrire la diversité. L’épidémiologie moléculaire s’intéresse à cette diversité.
C’est la description de ces différents types de cancer qui permettra de développer des traitements personnalisés. C’est une approche qui intéresse plus souvent les Anglo-Saxons que les Français…
Le virus de l’hépatite B. Source : Viralzone.
Comment as-tu entendu parler de l’opération Apprentis Chercheurs ? Pourquoi as tu eu envie d’y participer ?
Quand Aurélie Ducroux, doctorante à l’Institut Pasteur, m’a parlé de cette initiative, j’ai tout de suite trouvé ça essentiel.
Je pense que la biologie est expliquée de façon trop sommaire/superficielle aux enfants : après on doit corriger les inexactitudes et les incompréhensions, notamment en génétique. C’est dommage mais je suppose que l’on est obligés de faire comme ça en raison du peu de temps consacré à la bio en France. Les profs ne sont pas responsables, c’est plus au niveau de la conception des programmes qu’il y a un problème…
On est d’ailleurs dans un pays un peu «anti-biologie»… On assomme les étudiants avec les maths et la physique. Il n’y a pas beaucoup de boîtes de biotech ou de startup en France par rapport à d’autres pays et les étudiants brillants se dirigent souvent vers d’autres matières que la biologie. En France, on est en train de passer à côté de la révolution scientifique qu’a effectuée la biologie.
En plus, la tradition française du diplôme d’ingénieur et de grandes écoles est un peu incompatible avec la biologie ou en tout cas ne valorise pas les cursus «biologiques».
Devant cette situation qui m’énerve, j’ai eu envie de parler de biologie à des jeunes et leur expliquer pourquoi c’est important…
Qu’est-ce qui te plaît dans cette opération ? Qu’est-ce que cela t’apporte ?
J’ai déjà beaucoup d’interactions avec mes enfants, à qui j’essaie d’expliquer la biologie de façon simple mais précise. En fait, je ne change pas d’attitude en continuant d’agir ainsi sur mon lieu de travail, c’est un peu le prolongement naturel de ce que je fais dans le cadre familial…
Participeras-tu à l’opération l’année prochaine ?
Je n’ai rien contre, je n’y ai pas encore réfléchi. Je vais peut être y revenir plus tard, je ne sais pas si je vais le faire tous les ans. Cela prend du temps, et tout ce qui n’est pas « recherche pure » est parfois mal vu dans certains labos…
As tu d’autres activités de vulgarisation et de communication scientifique ?
J’ai déjà fait des cours en CE2. Une de mes filles était alors dans cette classe et le professeur nous avait avoué benoîtement qu’elle n’aimait pas la biologie au cours de la réunion parents-professeurs de début d’année. Je faisais de petits cours de biologie assez généraux (sur les plantes, les animaux, etc).
A la fin de l’année, je leur ai dit qu’on allait maintenant arrêter de parler et agir : on a extrait l’ADN de chaque élève ! A 8 ans, ils ont l’âge parfait pour ce genre d’expériences, et ils étaient super contents de ramener leur ADN à la maison dans un tube… Quand ils regardent Les Experts, ils savent « ce que c’est » que l’ADN !
Les Apprentis Chercheurs, plus forts que Les Experts à Miami !
Si vous êtes doctorant et que cette action vous intéresse, l’association est toujours à la recherche d’encadrants bénévoles, et souhaite étendre son action dans la maximum d’instituts de recherche différents (et pas seulement en biologie !). Si vous voulez en savoir plus sur l’association, ils ont une jolie page Facebook qui n’attend plus que votre like !