Face à la jungle du code des impôts, l'optimisation fiscale semble en France un marché en pleine expansion.
Par Stéphane Montabert.
En ces temps de crise il est de bon ton de vitupérer les "riches" - qui ne participent en rien au budget national comme chacun sait - et de maquiller d'un discours convenable la convoitise la plus dégoulinante.
La mode a atteint même le Canada où la nouvelle Premier Ministre québécoise Pauline Marois fait peu de mystère de son envie de tondre le mouton plus près de la peau. Astucieuse, elle ne vise pas les vrais milliardaires, mais seulement les plus aisés, ceux qui gagnent 130 000 dollars canadiens annuels, qui ont l'avantage d'être infiniment plus nombreux (même si quelques milliardaires se glissent éventuellement dans le tas). Cette population représente seulement 2,3% des contribuables, mais contribue au tiers des montants récoltés au nom de l'impôt sur le revenu.
En effet, il y a riche et riche, et les plus fortunés n'ont pas de gros souci à se faire, comme nous l'apprend une dépêche pleine d'ironie au sujet de la... France, où l'imposition est pourtant un sport national. À bon chat, bon rat, comme on dit :
As de "l'optimisation" des impôts, les conseillers en patrimoine et autres avocats fiscalistes se montrent sereins face aux hausses d'impôts annoncées pour l'an prochain, qui pourraient même attirer plus de riches contribuables dans leurs cabinets.
"La complexité du droit fiscal français est absurde et augmente chaque année", constate Dominique Laurent, avocat fiscaliste parmi les 482 inscrits sous cette spécialité au barreau de Paris, qui joue des subtilités des 3000 pages du Code des impôts au service des très fortunés.
Car tout le monde n'a pas les moyens de se payer les services d'un expert dont les tarifs dépassent les 300€ de l'heure. Et au final, ce sont les moins riches qui payent :
[Les niches fiscales de l'impôt sur le revenu dont le gouvernement veut abaisser le plafond] "ne concernent que les gens modérément fortunés", juge Me Laurent, quand ses clients "utilisent d'autres systèmes, peu connus du grand public", par exemple pour réduire leurs revenus du travail.
En d'autres termes, la classe moyenne-supérieure passera à la caisse mais les plus gros poissons n'ont guère de souci à se faire.
L'économiste Thomas Piketty n'hésite pas à afficher la couleur : "les hausses d'impôts sont une excellente nouvelle pour les conseillers fiscaux, une mauvaise nouvelle pour tous les autres". Les riches peuvent continuer de s'en sortir grâce aux niches et exonérations, explique-t-il. D'autres experts citent par exemple les investissements dans les PME innovantes (FCPI), l'épargne retraite (PERP), ou l'investissement dans l'Outre-mer qui échappe au bien mal nommé "plafonnement global".
À partir de quand cela vaut-il la peine de consulter, docteur ? Les experts de la fiscalité situent la limite inférieure autour du taux marginal d'imposition à 30%, soit 26 420 euros par part. On peut aussi avoir un patrimoine raisonnable, 100 000€ minimum, pour accéder à l'univers sélectif des banques privées.
Même sans atteindre ces montants, face à la jungle du code des impôts, l'optimisation fiscale semble en France un marché en pleine expansion. Internet aidant, les coûts baissent et permettent à bien des sites de surfer sur la vague: Defisca, Legal & General ou, annonçant clairement la couleur, impôts moins chers.
La plupart de ces sites proposent des investissements immobiliers basés sur le dispositif "Scellier", mais celui-ci est en sursis. Ce n'est pourtant pas un problème, car s'il disparaît c'est pour mieux laisser la place à son successeur, le dispositif Duflot, qualifié selon les professionnels - et même selon la ministre (!) - de "plus avantageux mais moins accessible". Je reformule : encore plus intéressant pour les très riches.
Nicolas Sarkozy en aurait rêvé, la gauche l'a fait !
On aurait tort de s'étonner : les baillis de la gauche française sont fortunés, et pas qu'un peu. Oui, on peut être riche et socialiste, mais pour que l'association fonctionne bien mieux vaut être vraiment nanti, quitte à entretenir un vague parfum de discrétion :
Les politiques fortunés ou aisés tentent de ne pas faire étalage de leurs biens, voire de les cacher. Laurent Fabius, dans sa jeunesse, a réduit le rôle de son père, éminent antiquaire, à celui de "brocanteur". Le couple Badinter - monsieur a été un avocat à succès et madame est l'héritière de Bleustein-Blanchet - est d'une discrétion à toute épreuve côté train de vie. Jack Lang n'en finit pas de se justifier de posséder un "modeste" appartement place des Vosges à Paris. Parfois, les digues craquent. Les socialistes détournent alors pudiquement leur regard. Ils n'ont pas aimé que soient étalés sur la place publique les goûts de luxe de l'ancien ministre des Affaires étrangères Roland Dumas. Encore moins que les ennuis judiciaires de Dominique Strauss-Kahn aux États-Unis aient révélé l'ampleur de la fortune de sa femme, Anne Sinclair, et rappelé ses propres penchants pour l'argent facile. (...)
Quoi de surprenant ? Les socialistes, la main sur le cœur, sont prompts à prétendre vouloir aider le monde entier, mais si l'apparente générosité du projet socialiste (qui se conjugue toujours mieux avec l'argent du voisin) est en conflit direct avec une autre valeur centrale de leur mode de pensée, l'élitisme. Et quel meilleur moyen de prouver sa place dans l'élite qu'une bonne grosse fortune se comptant en millions d'euros ?
Alors même qu'il prétend y mettre fin, les niches fiscales conçues par le gouvernement français ne se sont jamais aussi bien portées. Elles impliquent juste des manœuvres de plus en plus difficiles à atteindre pour les quelques Français parvenant un peu à sortir la tête de l'eau, les cadres supérieurs du privé, ou les couples où homme et femme travaillent d'arrache-pied dans quelque profession bien payée. Cette minorité-là est inexorablement ramenée dans le giron de la classe moyenne et de ses fins de mois difficile. Mais les autres, ceux qui voguent dans la stratosphère, n'ont pas de raison de perdre le sourire...
Il y aurait bien des moyens d'exercer enfin une réelle équité dans le code des impôts : en le simplifiant, par exemple. Ou en mettant un terme une bonne fois pour toute aux niches fiscales et non en cherchant à "plafonner" certaines d'entre elles - et je n'ose prononcer le nom de la Flat Tax.
Toutes ces réformes, justifiables par un gouvernement de gauche, se heurtent pourtant à l'écueil de la réalité : il y a aussi nombre de riches dans l'Armée du Bien. Ceux-là, bizarrement, ne sont pas trop pressés de renoncer à leur fortune au nom de l'intérêt général. Ils ont leurs relais au sein de la majorité en place, quand ils ne siège pas carrément avec elle.
Autant dire que la fin des cabinets d'optimisation fiscale n'est pas pour demain.
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