Quatrième de couverture: " J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute: au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout; défense était de les faire épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées: droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait..."
" A mes yeux, ils n'étaient pas morts, enfin, pas tout à fait: ils s'étaient métamorphosés en livres. Corneille, c'était un gros rougeaud, rugueux, au dos de cuir, qui sentait la colle. Ce personnage incommode et sévère, aux paroles difficiles, avait des angles qui me blessaient les cuisses quand je le transportais. Mais, à peine ouvert, il m'offrait ses gravures sombres et douces commes des confidences. Flaubert, c'était un petit entoilé, inodore, piqué de taches de son. VIctor Hugo le multiple nichait sur tous les rayons à la fois. Voilà pour les corps; quant aux âmes, elles hantaient les oeuvres: les pages, c'étaient de fenêtres, du dehors un visage se collait contre la vitre, quelqu'un m'épiait; je feignais de ne rien remarquer sous le regard fixe de feu Chateaubriand."
Les mots, Jean-Paul Satre, récit, Gallimard 1964 - Ed Folio 607, 214 pp