Valérie Debieux : Robert Notenboom, en tant qu’amoureux de la langue française, que pensez-vous de l’influence anglo-saxonne sur notre langue ?
Robert Notenboom : La langue anglaise a bénéficié et souffert d’avoir été pendant plus de deux siècles celle de la puissance mondiale dominante, la Grande Bretagne d’abord, les Etats-Unis jusqu’à présent. Cela explique que nos élites aiment à émailler leurs propos de mots anglais. Il s’agit là d’un phénomène passager un peu agaçant, mais qui ne met pas notre langue en danger. Parfois, des mots étrangers entrent dans notre langue durablement quand ils correspondent à un concept nouveau. Les mots « humour » et « tennis », eux-mêmes d’ailleurs venus du Français, se sont bien intégrés et nous avons renoncé à les prononcer à l’anglaise. Certains emprunts, il est vrai, pourraient avantageusement être remplacés par des mots français. Mais relativisons cette crainte de l’influence anglo-saxonne, bientôt remplacée peut-être par une autre, chinoise ou indienne. Depuis ses origines, notre langue s’est faite d’emprunts et, comme je l’écris dans Langue Française et Poésie son vocabulaire est constitué, non seulement de mots d’origine latine, mais aussi francique, celtique, arabe, etc…
Remarquons que certains mots anglais font une courte incursion dans notre langue avant de disparaître assez vite. Les romans de Jules Verne sont truffés de mots anglais, en vogue à son époque et disparus aujourd’hui. Cela dit, je regrette que l’on dise aujourd’hui « obsolète » au lieu de « désuet » et « spécifique » à la place de « spécial ». Remarquons que ce sont surtout les « élites » qui parlent ainsi, notre peuple, dans ses profondeurs, continuant de parler un Français convenable.
Valérie Debieux : La langue française bénéficie d’un vocabulaire excessivement large. Pourtant, l’on assiste à une paupérisation du langage et nombreux sont ceux qui, enseignants, hommes ou femmes de lettres, journalistes, déplorent cet appauvrissement. Existe-t-il, à votre avis, une solution pour aller à l’encontre de cette tendance ?
Robert Notenboom : Notre vocabulaire n’est pas si riche que cela. Les langues romanes sont assez pauvres en mots décrivant les sensations. Nous n’avons pas l’égal de l’anglais pour rendre les nuances entre « to shiver » et « to quiver ». Quel mot français pourra traduire l’allemand « summen » ? D’autre part, nos langues romanes sont peu aptes à construire des mots composés. D’où notre recours aux racines grecques ou à l’anglais. Mais on ne peut pas dire non plus qu’une langue est pauvre, ou riche. Chaque peuple a très exactement le nombre de mots dont il a besoin puisque c’est lui qui, souverain au moins en ce domaine, décide de leur création ou de leur intégration. D’autre part, de très grands écrivains ont écrit avec un nombre limité de mots, comme Racine ; d’autres, comme Maurice Genevoix utilisent un vocabulaire impressionnant. On peut cependant regretter un appauvrissement du langage, aussi bien dans les milieux populaires que chez les journalistes et universitaires qui ne prennent plus le temps de chercher le mot juste.
Valérie Debieux : À votre avis, le rôle des grammairiens va-t-il perdre de son influence, si tant est qu’ils en ont encore, au point d’être relayé à quelques pages dans l’histoire de la langue française ?
Robert Notenboom : Oh, les grammairiens ne sont que les juristes du langage. Ils ne le créent pas mais en codifient l’usage. Malherbe disait déjà cela en son temps. Je ne suis pas sûr qu’ils aient perdu le peu d’influence qu’ils ont jamais eu. Plus grave, selon moi, l’abandon de l’enseignement du latin qui rend plus difficile aux élèves la compréhension de notre langue dans sa structure, sa syntaxe, son orthographe. Je regrette qu’il n’existe pas une Académie de la Langue Française, uniquement constituée de linguistes, de grammairiens et de quelques écrivains des différents pays de la francophonie. Elle veillerait à entériner et à encadrer les évolutions indispensables de notre langue et à en maintenir l’unité au niveau mondial.
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