Préambule
Le droit de la presse
Agrégateurs et blogueurs, même combat !
Conclusion : je n'aime pas Olivier Martinez
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Préambule
La Justice est une vieille Dame. Séculaire. D'aucuns diront avec justesse qu'ancienneté ne signifie pas forcément obsolescence. Certes. Pour autant il est des situations, nombreuses, où l'ancienneté peut altérer la capacité de jugement, c'est le cas de dire. Et le jugement rendu dans l'affaire Olivier Martinez contre Fuzz et les autres défendeurs impliqués en est l'exemple typique.
Un jugement essentiellement motivé par l'absence de législation ad hoc que devrait pourtant garantir un droit "moderne" à ses citoyens.
Nul n'est censé ignorer la loi, paraît-il ! Prenons-en acte. Mais a contrario on ne voit pas pourquoi la loi devrait ignorer impunément les avancées technologiques qui accompagnent quasi-quotidiennement le progrès de nos sociétés en pleine évolution, perpétuelle et rapide. Et s'adapter en conséquence.
Ce serait, me semble-t-il, le corollaire obligé de l'édiction faite au citoyen lambda... qui n'a pas la plupart du temps les moyens de se payer les services d'un avocat pour suppléer aux carences du législateur, alors même qu'il serait légitimement en droit d'attendre de ce dernier qu'il fasse correctement son travail.
Or au lieu de cela, le législateur préfère transférer la responsabilité - et la charge de payer qui va avec - de ses lacunes au citoyen. C'est quand même un peu trop facile...
Inutile de vous dire que je ne suis absolument pas d'accord - mais alors PAS DU TOUT - avec ce que j'ai lu ici, là, et là encore, de cette triste affaire.
En fait, j'ai repris la Une de Narvic d'hier car elle cristallisait fort bien tout ce à quoi je suis opposé, et qui ne prouve selon moi qu'une chose : qu'il est d'autant plus urgent que le pouvoir législatif légifère sur une matière particulièrement mouvante - INTERNET - que plus le législateur attend et plus les choses vont s'embrouiller.
Ce que je vais tenter de démontrer.
Avant de commencer, permettez-moi toutefois de préciser que je n'ai rien contre Narvic, nous avons souvent échangé nos avis et j'ai souvent pris le sien comme référence. Mais, dans cette affaire, il se trouve que ses opinions sont emblématiques d'un certain courant de pensée que je souhaite combattre, d'où il s'ensuit qu'en répondant à ses articles je réponds par la même occasion à celles et ceux qui avancent ou avanceront des arguments identiques ou proches des siens.
Ce préambule étant posé, entrons dans le vif du sujet. [Début]
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Le droit de la presse
Maître Eolas, qui vient de consacrer coup sur coup un billet sur la responsabilité des blogueurs et un autre où il propose quelques moyens de défense, nous dit de la liberté d'expression qu'en l'espèce :
... la loi qui s'applique est notre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique.Un droit de la presse qu'un journaliste tel qu'Emmanuel Parody trouve « moins ringard et stupide qu’on pourrait le penser », bien qu'il ait « évolué dans un sens discutable (je pense à la diffamation et justement en ce qui concerne le droit à la vie privé, passons…) ».
Un droit vieux de plus de deux siècles est donc censé s'appliquer au tourbillon Internet, ce que Narvic justifie ainsi dans son premier commentaire à mon billet
Avant de monter de toutes pièces un nouveau régime juridique, qui devra attendre des années avant de se stabiliser à force de nouveaux procès et de jurisprudence, on peut regarder si une adaptation du régime qui existe déjà n'est pas suffisante, et peut se faire à moindre frais pour tout le monde.Les condamnés apprécieront...
Pour autant, adapter le droit de la presse à Internet, ou mieux, adapter Internet au droit de la presse, signifie de facto vouloir faire entrer le Web dans un cadre juridique bicentenaire, voire le faire s'encastrer de force là où ça craque de partout. Car en réalité c'est bien de cela dont il s'agit : requalifier des faits extrêmements modernes en leur restituant leur "qualification exacte" attribuable à des catégories juridiques complètement dépassées.
Je vous rapporte la définition de ce qu'est, selon Gérard Cornu dans son Vocabulaire juridique, la "qualification" en droit :
Opération intellectuelle d'analyse juridique, outil essentiel de la pensée juridique, consistant à prendre en considération l'élément qu'il s'agit de qualifier (fait brut, acte, règle, etc.) et à le faire entrer dans une catégorie juridique préexistante (d'où résulte, par rattachement, le régime juridique qui lui est applicable) en reconnaissant en lui les caractéristiques essentielles de la catégorie de rattachement.C'est moi qui graisse : « à le faire entrer dans une catégorie juridique préexistante », quitte à le faire entrer de force !
C'est ainsi qu'on va qualifier un agrégateur ou un blogueur d'éditeur, en forçant allègrement la requalification au seul motif que l’information est organisée en opérant un tri et une hiérarchisation des liens par catégories, ou encore en considérant que « la décision d’agencer les différentes sources permettant à l’internaute d’avoir un panorama général grâce aux différents flux choisis sur un thème bien précis » est bien un choix éditorial.
Le tribunal considérant alors que la décision de s’abonner à des « flux et de les agencer selon une disposition précise et préétablie pour les mettre à disposition des internautes » conférait au webmaster du site la qualité d’éditeur, qui devait donc, de ce fait, « assumer pleinement la responsabilité des informations qui figurent sur son site ».
Un raisonnement pour lequel Pierre Chappaz propose le parallèle suivant :
C'est un peu comme s'ils attaquaient les kiosques à journaux sous prétexte qu'un écrit leur déplaît dans l'un des titres en rayonnage.Poussons même plus loin l'analogie : imaginons qu'une info jugée diffamatoire ait été reprise en couverture d'un magazine people vendu en kiosque. Est-ce qu'il viendrait à quiconque l'idée d'attaquer tous les kiosquiers au motif qu'ils auraient aidé à diffuser l'actu ?
Et est-ce qu'il viendrait aux juges l'idée de donner raison au plaignant en condamnant tous les kiosquiers au motif qu'en décidant d'agencer sur leurs présentoirs lesdits magazines « selon une disposition précise et préétablie pour les mettre à disposition des » passants, ils seraient qualifiables d'éditeurs ?
Et par là même que ce choix de présentation de l'info par les kiosquiers serait un choix éditorial ? D'où il s'ensuivrait que les kiosquiers devraient donc, de ce fait, « assumer pleinement la responsabilité des informations qui figurent sur » leur présentoir ?
Absurde, n'est-ce pas ? Et bien pourtant, c'est très exactement ce que les juges viennent de décider, tant dans l'affaire Olivier Martinez contre Fuzz que dans celle d'Olivier Dahan contre lespipoles.com. [Début]
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Agrégateurs et blogueurs, même combat !
L'agrégateur agence des flux. OK. Idem pour le blogueur lorsqu'il décide d'agrémenter son blog de flux dans le seul but de fournir une information plus riche et complète à ses lecteurs.
Concrètement, les flux sont mis à jour et défilent automatiquement sans aucune possibilité pour l'agrégateur ou le blogueur d'intervenir dessus. Sauf à les supprimer, on est bien d'accord.
Donc imaginons que j'ai un blog people et que les flux qu'il affiche soient alimentés en continu et en automatique par un site qui va balancer, au milieu de centaines d'autres infos, une actu jugée diffamatoire.
Ce flux va s'afficher à un moment donné sur mon blog, et je ne le saurai ni ne le verrai car je n'ai pas l'œil rivé sur mes widgets de flux 24h/24. Par contre l'huissier qui va faire une recherche googlesque pour collecter son matériel à charge va tomber dessus et faire une belle capture d'écran.
Me voici donc juridiquement responsable de diffamation. Sans le savoir. Sans en être à l'origine. Non. Juste juridiquement responsable en tant qu'éditeur de l'info. Par quelle argutie ? Allez savoir ! Une info que je n'ai même pas vu passer, et qui ne sera affichée probablement que le temps de la capture d'écran par l'huissier, avant d'être chassée de mon blog par les mille autres infos qui poussent au portillon...
Voici pourquoi j'estime qu'est menacée la liberté d'expression formidable qu'autorise le Web 2.0.
Et que nul ne me fasse dire ce que je ne dis pas !
Car je ne dis ni ne pense que la liberté d'expression doit consister à dire n'importe quoi, mais simplement qu'il est impensable que je sois qualifié d'éditeur pour un contenu qui échappe totalement à mon contrôle.
De plus j'aimerais qu'on me dise quelle est véritablement la qualification légale de l'éditeur !? La seule définition que j'ai trouvée est énoncée à l'article 48 de la Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique :
Le contrat d'édition est le contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'œuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion.Car, sauf erreur de ma part, j'ai cherché la définition juridique de ce qu'est un éditeur dans la Loi n°1881-07-29 du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et je ne l'ai pas trouvée. Je l'ai cherchée dans la Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et je ne l'ai pas trouvée.
Qu'on me dise donc où chercher ! Et qu'on me dise par la même occasion en quoi un simple flux est-il différent des « analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées » qu'autorise explicitement, entre autres, l’article L 122-5-3° du Code de la Propriété Intellectuelle ? [Début]
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Conclusion : je n'aime pas Olivier Martinez
Ce n'est ni une diffamation ni une injure, juste un état de fait. Motivé « parce qu’il est procédurier, qu’il n’attaque pas les bonnes cibles » et qu'il met en grande difficulté des gens tels que Laurent ou Stéphane Larue, dont le seul tort aura été de laisser s'afficher à leur insu le mauvais flux au mauvais moment sur leur site.
C'est d'ailleurs à eux qu'un blogueur tel que Vinvin devrait aller expliquer pourquoi il aime tant Olivier Martinez...
Et si je suis d'accord pour dire qu'il est inutile, puéril ou contre-productif et tout ce que vous voulez de s'attaquer à la personne d'Olivier Martinez, je ne pense pas non plus qu'il faille s'acharner sur les blogueurs qui l'ont fait en les traitant de débiles ou de crétins. La réponse est maladroite, certes, mais elle est à la hauteur du défi. Proportionnée, de ce point de vue.
Eric Dupin, à qui on a posé la question « On a vu sur les blogs un nombre affolant de billets appelés J'aime pas Olivier Martinez (...) mais ce genre de mouvement est-il vraiment bon ? », revient par deux fois sur le sujet dans le chat sur 20Minutes :
Je ne peux pas répondre à la place des centaines de blogueurs qui ont lancé des initiatives personnelles contre le plaignant. Je n'approuve pas forcément mais je ne peux que saluer un mouvement qui dépasse largement le cadre de l'affaire qui me concerne. Les internautes, blogueurs et tous les petits éditeurs web se sentent légitimement et indirectement visés par cette assignation et la force de l'attaque. C'est normal qu'ils réagissent de cette façon même si cela peut paraître parfois un peu excessif. Je ne leur jetterai pas la pierre quoiqu'il en soit.
(...)
C'est la réponse du berger à la bergère, le gars attaque le web, le web lui répond à sa manière en lui montrant que ce genre de comportement peut davantage nuire à son image que la protéger.
C'est très exactement le fond de ma pensée, et la conclusion de ce billet. [Début]
P.S. Je suis sûr que les bons sentiments des âmes nobles et autres redresseurs de tort jugeant ces condamnations justifiées - soi-disant parce que les agrégateurs/blogueurs sont responsables des flux qui s'affichent sur leur site - fondraient comme neige au soleil si la même chose leur arrivait...
Quant « à civiliser l’univers pour l’instant sauvage du Net », soyons persuadés que les "civilisateurs" ne manqueront pas !