L'économie mondiale bascule vers le Pacifique et l'Asie, tandis que l'Europe s'enfonce dans la crise de la dette publique. Un succès qui doit beaucoup aux politiques libérales menées.
Par Jean-Yves Naudet.
Article publié en collaboration avec l'Aleps.
Le forum économique Asie-Pacifique (APEC) vient de se tenir du 2 au 9 septembre à Vladivostok. Il attire une nouvelle fois l’attention sur le basculement économique qui est en train de se produire. Pendant que l’Europe s’enlise dans la crise de l’euro et des dettes souveraines, puis bientôt dans la récession, le monde poursuit sa route et le centre économique de la planète est devenu le Pacifique. La raison en est simple : en dépit de toutes les faiblesses de ces économies, c’est la voie du libre-échange et de la liberté économique qui a été choisie.
L’APEC, Coopération économique Asie-Pacifique
Les Européens ignorent ce qu’est l’APEC et ils ont tort ; ils devraient s’intéresser à ce forum Asie-Pacifique. De quoi s’agit-il ? L’APEC (Asia-Pacific Economic Coopération : Coopération Economique pour l’Asie-Pacifique) a été créé il y a plus de vingt ans, en 1989. L’objectif était d’améliorer la croissance dans la zone en renforçant la coopération, c’est-à-dire en clair en acceptant le libre-échange.
L’objectif était ambitieux, car l’APEC est un ensemble gigantesque et au départ fort peu homogène. On y trouve 21 pays et non des moindres : la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, mais aussi dans la région Taïwan, Hong-Kong, Bornéo, la Thaïlande, le Viêt-Nam, la Malaisie, Singapour ; Brunei, plus au sud l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Et en Océanie aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande. De l’autre côté du Pacifique, le Chili, le Pérou, le Mexique, les États-Unis, le Canada.
Ce n’est pas rien : 2,7 milliards d’habitants, soit 40% de la population mondiale, mais aussi 45% du commerce mondial, donc pratiquement la moitié des échanges mondiaux, et même 56% du PIB mondial. Il est loin le temps où la Méditerranée était le berceau du commerce et de la civilisation, mais aussi celui, que nous avions connu depuis la découverte de l’Amérique, où l’Atlantique était le centre économique et politique du monde. Il semble que le Pacifique prenne maintenant le relais.
C’est la diversité qui est la chance de l’APEC
À la diversité géographique de l’APEC s’ajoute son hétérogénéité institutionnelle : des régimes communistes, même s’ils ont libéralisé leurs économies mais pas les libertés publiques, des régimes autoritaires comme la Russie, dont l’économie vient à peine de rejoindre l’Organisation mondiale du commerce (faute d’en respecter les règles élémentaires pendant longtemps), des démocraties de type occidental, des économies plus libérales comme le Chili et d’autres qui sont au carrefour des chemins et qui s’interrogent, comme l’Amérique, entre Obama et Romney.
Bien entendu, pour s’entendre et échanger librement, il faut respecter certaines règles du jeu et l’adhésion à l’OMC n’est pas en soi une garantie suffisante. Toutefois, les pays ont progressé dans cette direction et la diversité n’est pas un obstacle aux échanges commerciaux, bien au contraire : c’est parce que ces pays ont des qualités, des ressources, des entrepreneurs, des produits, des modes de production, des niveaux de compétitivité fort différents que la concurrence peut jouer et que le commerce présente un grand intérêt. En effet, on y trouve les trois premières puissances économiques mondiales, mais aussi des pays exportateurs de matières premières et d’autres spécialisés dans les industries d’assemblage. C’est cette diversité qui est la vraie chance de l’APEC.
Si l’on regarde les sommets annuels (il y en a eu 24, successivement dans les divers pays membres), au-delà des tensions géopolitiques, militaires et maritimes dans cette zone, c’est la marche vers la liberté des échanges qui domine. L’APEC souhaite favoriser la croissance et le développement par la multiplication des échanges et le libre-échange. Il n’est pas besoin, surtout après l’Université d’Été 2012 de la Nouvelle économie, consacrée aux liens entre libre-échange, développement, et progrès social, d’insister sur le rôle moteur des échanges et de leur liberté, n’en déplaise aux tenants de la démondialisation.
Libre-échange et non politiques communes
L’un des objectifs de l’APEC, fixé dès 1994, était de créer pour 2010 une zone de libre-échange entre les pays développés de la région et en 2020 pour l’ensemble des économies, y compris en développement. Entre les deux, un accord devrait être réalisé l’an prochain pour un partenariat transpacifique instaurant une vraie zone de libre-échange entre une partie des pays de l’APEC, développés ou en développement, situés des deux côtés du Pacifique. L’ouverture porte non seulement sur les marchandises mais aussi sur les services, les capitaux et la main d’œuvre.
Pour autant, on est loin des mécanismes européens, même si ces libertés rappellent celles du Traité de Rome de 1957. Pourquoi ? Parce que du côté de l’Europe on n’a cessé d’hésiter entre une simple zone de libre échange (position anglaise) et un ensemble de politiques communes conduisant peu à peu à un gouvernement européen (position du père de l’euro, Jacques Delors). Progressivement, sous la poussée des Commissaires de Bruxelles, l’Europe a évolué vers plus de dirigisme et de centralisation et s’est écartée de la voie libérale. Aujourd’hui, l’argument le plus entendu est : « l’euro est là, donc il faut des politiques uniformes et communes ». De son côté, l’APEC n’a jamais hésité : c’est une zone de libre-échange, sans instance politique centrale, ni traité contraignant, ni bureaucratie. Les engagements sont non contraignants et volontaires et, miracle de la liberté quand on en a compris les avantages, ils sont respectés. Le libre contrat plutôt que la loi.
Un succès qui devrait faire réfléchir l’Europe
Il ne s’agit pas d’idéaliser la situation. Il y a encore dans l’APEC des régimes totalitaires ; on peut espérer que les libertés économiques entraîneront les libertés publiques. Il y a des pays plus dynamiques que d’autres, certains avec un excellent indice de liberté économique, tandis que d’autres sont encore à la traîne. Il y a plusieurs vitesses dans l’APEC, ce qu’a l’air de regretter la rédaction des Échos en titrant « le forum Asie-pacifique s’intègre économiquement en ordre dispersé ». Or, c’est précisément l’intérêt de cette formule souple : tout le monde ne marche pas au même pas.
Finalement, au-delà de toutes les critiques que l’on peut formuler, il faut bien constater que la croissance économique est là. C’est la zone économique la plus dynamique du monde et elle a contribué aux trois quarts de la croissance mondiale dans les dix ou quinze dernières années. Encore une fois, ce n’est pas un miracle, mais le simple bienfait du libre échange.
La prospérité de la région pourrait-elle être menacée ? Il y a le risque de conflit politique entre Chine et Japon à propos de la souveraineté sur quelques îlots d’un archipel. Mais le « doux commerce » (Montesquieu) crée des liens peut-être plus forts que les querelles politiques.
Malgré ces tensions et ces difficultés, la situation de l’APEC semble bien plus confortable que celle de l’Union Européenne. La vieille Europe se complaît dans le jeu politique et perd de vue toute logique économique. La bureaucratie, les manipulations monétaires et financières l’éloignent d’une saine gestion. Les atouts européens sont pourtant considérables, avec un réservoir de capital humain extraordinaire. Les Européens devraient enfin ouvrir les yeux sur les changements rapides de l’économie mondiale, dont l’APEC est un symbole. Les Européens en viendraient alors à la seule voie du futur : celle de la liberté et du vent du grand large.
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