Par l'élève Moinet
Ah, les questions qui tuent. C’est quoi votre définition du bonheur ? C’est quoi la première chose que vous regardez chez une fille ? Je lirai ça toute ma vie. Ma définition du bonheur ? Un illustré. La première chose que je regarde chez lui ? Son dos, collec oblige. Son plat verso, son quatrième de couverture, son quatrième plat comme dit le BDM, son backcover comme dit le Jeune Albert. Désolé, mais pour moi le derrière du devant, c’est le dos, comme chez une fille. Le dos, c’est le côté et l’autre côté c’est la tranche. J’espère que vous me suivez. Alors, belges, cartonnés et disparus, il ne reste plus qu’à aller les voir de plus près ces dos-là. Ces dos-ci aussi. Après une telle introduction laborieuse, je vous les dois. Des dos dus. Deux paires dos dus ? Non, trois. Ceux de Michel, Ric et Dan, tiercé dans l’ordre, comme disait Guy Lux, entre 64 et 72. Dos qui chaque fois me font le même effet, jusqu’au fatidique : c’est combien ?
Commençons par celui du champion, notre Michel Vaillant national. Analysons-le scrupuleusement si vous le voulez bien. Que voyons-nous ? Les personnages récurrents de la série, harmonieusement disposés de droite à gauche et de haut en bas, réunis dans une ambiance internationale et estivale. Une petite brise bien agréable refroidit les têtes et fait flotter les drapeaux.
- Monsieur Vaillant dit "le père".Il est fier. Il est responsable. Il est élégant. Il est habillé sportwear. Dommage qu’il ait "tombé" la cravate. Cravate et blouson sont un bon compromis. Friday wear peut-être. Le voilà dans son rôle - oh combien en a-t-il ? - de panneauteur, son pouce de la main droite enserrant, tel une pince inflexible, le prestigieux panneau siglé. A cœur Vaillant, rien d’impossible ! Le défi est grand. Le pilote, sans visage, le circuit de la peur, le père vert. Bon pied, bon œil. Les casse-cou…? Le père sévère.
- Jean Pierre Vaillant dit "la tête". Il est concentré. Il est soucieux. Nous sommes en pleine guerre froide. Son regard est fixé sur le bout de la ligne droite. Il la scrute. "Bon sang, mais que font-ils ?" Il tient un objet dans sa main droite. Ce n’est pas une grenade à main, ou un macaron de chez Ladurée. C’est un chronomètre avec lequel il va chronométrer des performances au dixième de seconde près ! La cheville est souple, le pied droit est fléchi, il est en appui. Prêt à bondir dans l’action.
- Agnès est souriante, elle est proche de son roturier de mari. Elle semble perdue dans ses pensées. Chiffons sans doute. Elle porte une petite robe très fifties, toute simple et des lunettes de soleil qu’elle vient de retirer, par simplicité. Pas de bijoux, toute simple, Agnès. C’est l’atout charme de la série.
- Michel dit "le champion". Avec Steve, ils sont inséparables ces deux là ! Les deux garçons posent dans une attitude gay friendly. Les ventres sont plats, les muscles saillants (les biceps !), les épaules larges, les mâchoires prognathes, les regards francs. Ils sont déterminés. La force tranquille, quoi. Les cheveux sont courts et les nuques hautes. Deux mèches rebelles et un sourire en coin font de Michel notre complice. Tous portent un signe distinctif. Qui un brassard, qui un insigne. Sauf Steve, bien sûr, rebelle au grand cœur.
- Joseph dit "le fidèle". L’homme de l’ombre, le bouffeur de radis*. Il est bougon. Il sait que ses pages sont comptées, Il est en retrait. la retraite du retraité approche. "Place aux jeunes !" se dit-il. Il est soucieux. "Ai-je bien cotisé 37 ans et demi ?"
Passons si vous le voulez bien à celui du célèbre reporter à mèche du journal Tintin. Pas le héros éponyme, mais le journaliste-investigateur, Ric Hochet. Analysons-le sans concessions si vous le voulez bien. Que voyons-nous ? Un Alix, période "La griffe noire", heureusement rhabillé pour l’occasion. Pas très discret de mener une enquête en toge en 1962. Regardez-le, goguenard, dans sa veste de sergé écossais moucheté, appelé plus communément tweed, dans son polo et dans son pantalon ton sur ton taille haute et dans une attitude à la Claude François, (le chanteur yéyé) lançant à la cantonade "Belles belles belles comme le jour, belles belles belles comme l’amour". A croire que l’aventure commence enfin pour lui, parce qu’il n’en a pas trouvé beaucoup des belles belles belles comme l’amour, belles belles belles comme le jour au Havre ou à Porquerolles. Ah non. La grosse trace de doigts derrière lui ? Il s’en fout. Le photograveur n’avait qu’à pas être un gros dégueulasse. A moins que… et si c’était un indice ?
Finissons par celui du gonfleur d’hélices, du Buck Danny du journal Tintin, du Tanguy sans son Laverdure (mais avec son petit Coquin), le major Cooper, l’héroïque major Cooper, pilote d’art et d’essai de la RACF, bien avant que le regretté Major (Dale) Cooper de Twin Peaks ne se perde chez une Desperate housewife. Les desperate housewives, Dan ? Il n’en a que foutre. Regardez-le, dans une attitude à la Y’a bon Banania prêt à partir en mission dans un état second. Mais qu’est-ce que c’est que cette familiarité, ce ton péremptoire ? Depuis quand tutoie-t-on tout le monde ? Et ce rencard fallacieux, "je t’attends la-haut", sans accent sur le "a" (il faudra attendre la première édition chez Dargaud en 76 pour le voir arriver) Hum, à croire qu’un facétieux mécano lui a déréglé son arrivée d’oxygène. "Achète vite l’album". Comme par hasard. Non, monsieur Cooper, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Pas étonnant que tout le monde se soit ruiné en Pifises (Artemia salina) et Pifitos (pois sauteurs) à l’époque. Pour nous quitter, avant de prendre de mauvaises manières, notons que l’album doublement conseillé est entouré d’un joli rond, très pop’art, très Liechtenstein, très Courrèges. Un peu comme dans ce site, tiens. Mais ici ça ne vole pas très haut et tout est gratuit et personne ne nous lit. A propos de lit, il est temps de faire dodo. Dos dos, pardon. Hum, c’est pas près de s’arranger.
* voir "La trahison de Steve Warson".