Les débats sont déjà édifiants. Au point qu'il faut lire ou relire l'enquête de deux sociologues sur les ghettos du Gotha, un ouvrage bien documenté sur les stratégies d'évitement social mises en oeuvre par les plus fortunés.
Ghettos de Riches
C'est un ouvrage très instructif qu'il fallut lire peu à peu à peu et sans urgence, afin de ne pas sombrer dans une paranoïa anti-Riche.
« Les ghettos du Gotha », rédigé fin 2007 par les deux sociologues auteurs du « Président des Riches », Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, vaut le détour et l'attention.
Je vous livre l'une des conclusions:
« C'est l'une des forces des dominants d'avancer sous le masque de l'individualisme et du mérite personnel tout en pratiquant dans la discrétion le collectivisme, le souci de l'héritage et de la transmission des avantages acquis.»A travers de multiples exemples, anecdotiques ou collectifs, les deux auteurs détaillent les stratégies de défense de «l'aristocratie de l'argent»: de cercles d'héritiers en clubs de cooptés, cette dernière protège avec savoir et application la transmission de son héritage, les « monuments historiques » qu'elle habite, les quartiers riches où elle s'est réfugiée. Sa stratégie d'évitement est sans pareille, coordonnée, outillée et réfléchie.
Cet ouvrage mérite d'autant plus le détour qu'il permet de revisiter l'actualité politique récente: à l'Assemblée nationale, la ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot, défendait en effet sa loi sur la Mobilisation du foncier public en faveur du logement et le renforcement des obligations de production de logement social.
Loi Duflot
On mesure combien l'ex-leader écologiste devenue ministre intéresse les commentateurs politiques, depuis que son parti EELBV s'est déclaré hostile au traité européen TSCG. Mais bizarrement rares étaient ces mêmes commentateurs à s'attarder sur l'adoption de sa loi sur le logement. Pourtant, les arguments avancés par les députés-maires de certaines communes bourgeoises valaient le détour. Un détour assez agaçant, presque pré-révolutionnaire.
« Il n'est pas admissible », expliquait la ministre ce lundi, « qu'en 2012, en France, plus de 3 millions de personnes ne soient pas logées, ou très mal. Près de 10 millions de personnes sont aujourd’hui en situation de fragilité quant au logement à court ou moyen terme et subissent de plein fouet la crise.» La ministre voudrait 150 000 logements sociaux par an pendant le quinquennat Hollande. Sa loi, rappelons-le, prévoyait aussi que le taux minimum de logements sociaux par commune serait porté de 20 à 25 % « là où le besoin s'en fait sentir », c'est-à-dire dans les agglomérations de plus de 50.000 habitants où la pénurie justifie d'accroître l'effort de construction de logements sociaux. Il est aussi prévu une sous-obligation d’au moins 30 % de logements très sociaux pour les constructions de plus de douze logements ou 800 m2.
Parti des Riches ?
A droite, on minaude. On explique que c'est trop ou pas grand chose. Que cela ne sera jamais atteint (« il me semble que ce projet de loi ne permettra pas de produire un logement de plus » déclara Benoist Apparu). On souhaite l'échec.
Henri Plagnol, député-maire Nouveau Centre de Saint-Maur (6% de logements sociaux!), critiqua ainsi la cession de terrains de l'Etat: « Ce n’est pas avec ça que vous allez désendetter la France ! » . Le député Benoist Apparu, ex-secrétaire d'Etat au Logement de Nicolas Sarkozy, préférait le bail emphytéotique - un bail de très longue durée (99 ans) - plutôt que la cession des terrains de l'Etat. Il chipotait.
Il s'indigna aussi qu'on veuille le contraindre, lui comme ses collègues maires de communes bourgeoises qui ne respectent pas la loi, et, pire, qu'on ne lui accorde aucune. Il fallait se pincer pour ne pas crier: la commune de Saint-Maur, par le biais de son maire, réclamait donc une aide de la Région pour financer son logement social...
Lisez plutôt: « vous demandez aux maires de communes qui, comme la mienne, ne satisfont pas aux obligations de la loi SRU, de faire plus, tout en leur refusant toute aide de la région – en ce qui concerne ma ville, le conseil régional est celui dont vous êtes l’élue, madame la ministre –, du conseil général et maintenant de l’État. Vous refusez également de raisonner, ce qui est le bon sens même, en termes de potentiel foncier ».
La lecture des Ghettos du Gotha est éclairante sur ce sujet, le fameux potentiel foncier. La parade de communes bourgeoises - dont Neuilly-sur-Seine est l'un des pires exemples - consista à réduire ce potentiel foncier via le plan d'occupation des sols ou la classification des habitations.
Nausée socialeIl y eut aussi le député Sadier (UMP), qui porta l'amendement 444. Ce dernier était une sacrée proposition, décompter les lits d'hôpitaux, de prisons ou de gendarmerie dans les 25% de logements sociaux ! Quelle ignominie !
Après l’alinéa 12, insérer les deux alinéas suivants : « 4° bis Après le huitième alinéa, est inséré un 5° ainsi rédigé : « 5° Sont également comptabilisés comme autant de logements locatifs sociaux les lits d’hôpitaux, de prison, de gendarmerie, de soins de suite et de réadaptation. »
EXPOSÉ SOMMAIRE Les lits de ces structures doivent être comptabilisés dans le quota des 25 % de logements sociaux, au regard de leur utilité éminemment sociale et des coûts supportés par les collectivités qui comprennent ces structures sur leur territoire.Certains s'affichaient favorables à l'augmentation du taux de 20 à 25% de logements sociaux, mais, précisa Benoist Apparu, « mais à certaines conditions, notamment celle d’y intégrer l’accession à la propriété ». La mixité sociale a des limites ! Apparu précise: « nous considérons que l’essentiel, c’est de permettre à ceux qui n’ont pas les moyens de se loger dans le secteur privé d’accéder à un logement aidé. Telle est à nos yeux la vocation même du logement social.» Enfonçait-il des portes ouvertes ? L'argument est central: « Je répète que, pour nous, la mixité ne dépend pas du statut d’occupation d’un logement – en location ou en propriété – mais bel et bien des revenus du ménage occupant. » Apparu est clair: à droite, pour limiter l'ampleur de la mixité sociale, il faut y inclure le plus de statuts possibles afin de limiter les effets de la loi.
Autre amendement, autre nausée. Les députés David Douillet, Henri Guaino et Jacques Myard proposèrent de pénaliser les communes qui feraient « trop » de logements sociaux (le seul étant proposé à 35%) seraient fiscalement pénalisés autant que les communes qui ne respecteraient pas le seuil de 25%. En d'autres termes, un joli racisme social...
Il fallut écouter Marc-Philippe Daubresse, le grand gaillard du Nord, député UMP, qui hurla contre cette précipitation à voter une loi sur le logement social. Comme si l'urgence n'était pas sociale. En dix ans, rappela Cécile Duflot, la part de logements sociaux des communes visées par l'article 55 de la loi SRU n'avait augmenté que d'un point, de 13 à 14 %. Une décennie pour presque rien...
« Si une partie des communes respecte les obligations que leur imposait la loi, d'autres ont préféré payer plutôt que contribuer à la solidarité territoriale.»
Cécile Duflot, 24 septembre.Le groupe UMP déposa effectivement une motion de rejet préalable, avant tout débat. L'explication était double: la procédure est précipitée. Sur le fond, Marc-Philippe Daubresse justifia aussi que cette loi était anticonstitutionnelle car les amendes aggravées prévues contre les communes récalcitrantes iraient abonder un fond national sans que l'on sache si ce dernier serait pas affecté à la construction de logements sociaux,
Le même Daubresse s'indigna du fait que le gouvernement chercherait à « tuer le Crédit immobilier de France, alors qu’il n’était pas du tout en péril, l’affaire de l’agence de notation étant tout simplement due à un problème de financement sur les marchés extérieurs ». Une affaire de financements extérieurs ?? Mais le CIF ne repose que sur des appels aux marchés extérieurs pour financer les prêts qu'il concède ensuite !
Stratégie de survie
Ce lundi 24 septembre, il fallait donc relire quelques savoureux passages des Ghettos du Gotha. L'une des thèses, toujours argumentée, était que ces fortunés, si habiles à se défendre, constituent bien ce qui s'appelle une classe sociale, délicieusement à l'abri des statistiques, hermétique aux entrées qui ont peu à voir avec le mérite et l'effort.
« La classe dominante dispose de deux formes de capitaux spécifiques en cela qu'elles sont transmises et donc héritées. Le capital patrimonial et le capital mondain restent à peu près inaccessibles à qui n'en bénéficie pas par la naissance. »