Contrairement à la société socialiste, la société libre pose le principe de la liberté absolue de la presse et affirme la responsabilité pleine et entière de cette dernière quant aux conséquences de ses actes.
Par Georges Kaplan.
Dans une Société libre, vous ne pouvez pas exiger pour vous-même le droit de disposer librement du fruit de votre travail tout en réclamant que l’État subvienne à vos besoins.
Dans une Société libre, vous ne pouvez pas exiger pour vous-même le droit d’élever des enfants tout en réclamant que ce droit soit refusé à celles et ceux dont les orientations sexuelles vous déplaisent.
Dans une Société libre, vous ne pouvez pas exiger pour vous-même le droit de vous vêtir comme bon vous semble tout en réclamant que l’on interdise à d’autres de porter une burqa ou une kippa.
Dans une Société libre, enfin et puisque c’est le sujet qui nous occupe, vous ne pouvez pas exiger pour vous-même le droit d’exprimer librement votre opinion tout en réclamant que l’on interdise à d’autres de faire de même.
Dans une société libre, vous devrez souffrir que d’autres soient plus riches que vous, vous devrez admettre que des couples homosexuels forment des familles, vous devrez supporter que votre voisine soit voilée de la tête aux pieds et vous devrez accepter que Charlie Hebdo se complaise dans la provocation. La liberté, ça a des inconvénients.
N’est responsable que celui qui est libre
Il n’a échappé à personne que la publication des caricatures incriminées ne relève de rien d’autre que du coup marketing à peu de frais. Ce faisant, Charlie Hebdo à fait usage de sa liberté mais cette liberté a aussi ses inconvénients ; au premier titre desquels : la responsabilité. En provocant sciemment une partie du monde musulman – la partie moyenâgeuse, violente et revendicatrice – l’hebdomadaire expose nos concitoyens et plus particulièrement ceux qui vivent en terre d’Islam à des représailles. Dans une Société libre, Charlie Hebdo, en faisant usage de sa liberté, engage aussi sa responsabilité : si cette caricature met effectivement en péril la sécurité ou, pire encore, la vie d’un certain nombre de Français, l’hebdomadaire devra répondre de ses actes et en assumer pleinement les conséquences. La liberté, contrairement à ce que certains se plaisent à faire croire, ne signifie pas l’absence de règles.
Mais dans une société socialiste, il en irait tout autrement. Dans une telle société, la liberté d’expression et donc la liberté de la presse seraient contraintes par les lois. Parce que l’égoïsme des hommes, s’il n’est pas réfréné, pousse à « la guerre de tous contre tous », parce que les intérêts individuels doivent céder devant l’intérêt général, la société socialiste ne peut souffrir qu’un hebdomadaire, fût-il satirique, mette la sécurité de la nation en péril pour s’offrir un coup de pub. Dans une société socialiste, les restrictions imposées à la liberté de la presse ne sont pas seulement légitimes, elles sont une responsabilité de l’État ; dans une telle société, Charlie Hebdo aurait donc agi dans le cadre des règles fixées par la puissance publique : la publication de telles caricatures, si elle est autorisée, c’est l’État lui-même qui en porte la responsabilité. Et l’État, comme vous le savez, c’est nous.
La liberté et son alternative
Ainsi donc, nous sommes placés face à deux choix de société parfaitement antagonistes. La société libre pose le principe de la liberté absolue de la presse et affirme la responsabilité pleine et entière de cette dernière quant aux conséquences de ses actes. La société socialiste, au contraire, encadre cette liberté par la loi et fait porter la responsabilité de ce qui est publié sur l’État, c'est-à-dire, en régime démocratique, sur la nation toute entière. Dans le premier cas, le gouvernement peut regretter officiellement la provocation de Charlie Hebdo tout en rappelant à ceux qui s’en offusquent que les lois de la République lui interdisent d’intervenir. Dans le second, il doit choisir entre soutenir explicitement ou implicitement l’hebdomadaire – et donc nous en faire subir les éventuelles conséquences – et le censurer purement et simplement.
La liberté d’expression, quand elle est absolue, quand, au-delà du marbre de nos édifices publics, elle est gravée dans le cœur de chaque citoyen comme un principe qui ne souffre aucune exception, n’engage que celles et ceux qui en font l’usage. Je ne suis pas responsable de ce qu’écrit ou dessine Charlie Hebdo. Bien sûr, un monde de liberté d’expression sans limites n’a rien d’un paradis terrestre : on ne peut pas exclure que quelques islamistes décident néanmoins de se venger sur certains de nos concitoyens et c’est aussi un monde dans lequel les idées les plus abjectes auront droit de cité. Les inconvénients, pour vous comme pour moi, sont nombreux mais considérez bien l’alternative et souvenez-vous, comme l’écrivait Karl Popper, que « ceux qui nous promettent le paradis n’ont jamais rien créé d’autre que des enfers. »
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