The Married Monk - Clementine's Song
Au commencement était Elephant People, un opéra pop mis en scène par Renaud Cojo et la compagnie Ouvre le chien, sur la base d'un livret de Daniel Keene et une musique de The Married Monk. Un spectacle qui interroge l'altérité physique et le corps tel qu'il est conjugué au contemporain, en faisant défiler les portraits de freaks parmi les plus célèbres : Joseph Merrick dit Elephant Man, les siamois Ed & Chang Bunker, Jean Libbera et Jacques, son jumeau parasite, la femme à barbe Clémentine Delait, Fedor Jeftichew alias Jojo the Dog Faced Boy et la mannequin tétraplégique Delphine Censier. Autant d'êtres que l'on retrouve sur l'album du même nom dont a accouché le combo, son cinquième. Lequel, comme ses prédécesseurs, ne laisse planer aucun doute quant à l'excellence de ces Français.
La marginalité par le prisme artistique, qu'elle s'attache au fond, à la forme ou aux deux, ce n'est pas une nouveauté, notamment au cinéma avec Freaks, The Rocky Horror Picture Show, Elephant Man, à la télévision avec l'épisode 20 de la saison 2 d'X-Files et Carnivale ou dans les pages de bande-dessinées, romans graphiques et comic-books de la stature de Freaks of the Heartland, Black Hole, Les Rêves de Milton voire Kiss Psycho Circus (ne riez pas, c'était le bon temps). Pour ne citer que ceux qui surgissent sans forcer dans ma petite tête. De fait, malgré son pedigree irréprochable, on aurait pu craindre que le groupe se contente d'un disque flemmard avec inserts de mélodies circassiennes et ambiances horrifico-mystérieuses à la ramasse. Crainte infondée, le quatuor passant en revue tout son éventail esthétique, pour le bonheur des petits et des grands : dancefloor numérique avec Merrick's Meditations, folk tire-larmes lors de l'instrumental Delphine's Angels, reggae cosmique pour Introducing Prodigies, pop au ralenti sur le superbe Pretty Lads (existe en goût disco sur The Belgian Kick, précédent coup d'éclat de The Married Monk), mimétisme Velvetien pendant Brother "J", où Christian Quermalet apparait comme une parfaite réincarnation de Lou Reed (qui n'est pourtant pas mort, aux dernières nouvelles), electro-pop vintage aux discrets relents deDivine Comedy le temps d'un Me and Me au refrain aiguisé comme un tantō sorti de la forge...
Même pour le passage oblige à la Monsieur Loyal sur l'inaugural Spiel, l'enrobage musical évoque plus une sitcom sous le soleil Floridien qu'une piste aux étoiles. A contrepied des clichés, Philippe Lebruman, le petit nouveau Nicolas Courret (croisé sur le dernier Headphone), Etienne Jaumet (moitié de Zombie Zombie) et Quermalet abattent ainsi les cartes du décalage, de l'entrain, de l'humour (la mélodie peau de banane de Hail 2 the Hound Man!), de la sobriété mélancolique et de la surprise, comme lors de ce troublant spoken-word gothique de Vincent McDoom. Oui, celui de La Ferme Célébrité, qui de sa voix transgenre personifie l'androgynie sous des nappes de claviers mortifères et les élucubrations d'un saxophone free. Une jolie talmouse, comme l'ensemble de cet Elephant People, qui dans ses moindres recoins, y compris aphones, recèle une science des arrangements digne du prix Nobel.
The Married Monk - Elephant People (Ici d'Ailleurs) - 2008