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Les entretiens de la rentrée : Laurent Gaudé

Par Pmalgachie @pmalgachie
Les entretiens de la rentrée : Laurent GaudéTout nouveau roman de Laurent Gaudé, lauréat avec des livres précédents du prix Goncourt des Lycéens et du Goncourt, est attendu par ses lecteurs. Pour seul cortège, le septième, n'a pas fait exception à cette règle - une des plus agréables qui soient pour un écrivain. Alexandre le Grand est en train de mourir, il meurt, et seule Dryptéis, revenue près de lui, échappe aux luttes pour le pouvoir qui déchirent les autres proches... Je me suis entretenu avec Laurent Gaudé par téléphone, et une partie de cet entretien a été utilisée dans un article du Soir. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers Alexandre le Grand ?Ce livre-là est venu de deux choses. La première, c’est que j’avais croisé la route d’Alexandre, si je puis dire, en 2002, avec un petit texte de théâtre, un monologue qui s’appelle Le tigre bleu de l’Euphrate. Et, depuis, le personnage me trotte dans la tête avec le sentiment que je n’en avais pas tout à fait terminé avec lui. Quand j’ai commencé à me replonger dans mes dossiers Alexandre, le livre est vraiment né d’un fait que j’ignorais : cette attaque, qui a réellement eu lieu, du cortège funéraire par Ptolémée. Quand je suis tombé sur ce petit fait-là, tout d’un coup le livre a existé. Je me suis dit : il y a tout, là…Dans votre esprit, le roman parle-t-il du pouvoir ou de ce que représente symboliquement le pouvoir ?Oui, bien sûr, c’est sur le pouvoir, parce qu’il y a le cadre de dislocation de l’empire, d’héritage, de succession. Je ne néglige pas ce thème-là, il m’intéresse. Mais je suis tellement centré sur Alexandre et sur Dryptéis que, pour ces deux personnages-là, la question du pouvoir ne se pose pas. Ils sont en train de le perdre, ou bien ils ne l’ont jamais eu, ou ils l’ont perdu depuis longtemps. D’une certaine manière, je dirais que c’est plutôt la fièvre de cet homme et puis le désir partagé qu’ils ont, chacun pour des raisons différentes, de disparaître, d’échapper à la grande Histoire.Alexandre continue à parler par-delà la mort. Pourquoi ce choix ?J’adore faire ça. C’est un des privilèges de la littérature, de s’affranchir des barrières que nous avons dans nos vies. Et j’aime bien, dans les livres, quand les personnages meurent mais parlent. Jouer avec la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts est quelque chose qui m’intéresse. Au premier degré, ça paraît fantastique ou irréel, mais je crois profondément qu’Alexandre est encore vivant, puisqu’il m’a suffisamment habité pour que j’aie envie d’écrire ce livre, puisqu’il passionne des tas de gens autour du monde. Quelque chose de lui vit encore.Cette relation avec les morts se retrouve dans plusieurs de vos livres…Oui, dans La mort du roi Tsongor, dans La porte des Enfers, dans quasiment tous, à dire vrai… C’est quand même une des grandes questions de nos petites vies, le rapport à la mort. Pas forcément de manière philosophique, le néant et tout ça, mais peut-être d’abord le rapport à la mort à travers le deuil et la perte. C’est souvent d’abord par ce biais-là qu’on en fait l’expérience. Comment ce qu’on a perdu à nous accompagner, c’est un thème qui m’intéresse.C’est même le rapport avec les morts qu’avec la mort en général…Oui, la présence des morts est quelque chose qui m’intéresse.Dans Pour seul cortège, vous parcourez pas mal l’espace, la géographie. Il y a un empire comme décor. Vous aimez bouger dans les livres ?Oui, j’adore ! Le cadre de Pour seul cortège, qui est réel et historique, la Mésopotamie, Babylone… rien qu’à prononcer ces mots, l’imaginaire se déclenche. Donc, d’une certaine manière, ça a beau être réel et historique, pour moi c’est complètement fantasmagorique. On est dans une Antiquité rêvée, d’une certaine manière. Pour moi, en tout cas. Les terrasses suspendues de Babylone, je décolle tout de suite ! C’est un grand plaisir d’écrire dans ce cadre-là, parce qu’il suscite beaucoup d’images et de désirs d’écriture.Ce sont des lieux qu’on connaît sans les avoir vus. Les avez-vous vus ?Non, malheureusement. Je ne suis pas allé au-delà de ce qui aujourd’hui s’appelle la Syrie, le Liban. Ça, je connais un tout petit peu, mais pas l’Iran, pas l’actuel Pakistan. Ce sont des routes qui me font rêver.Votre roman est très visuel. On a l’impression de voir ce dont vous parlez, même quand il s’agit de personnages qu’on a fréquentés moins que vous. Est-ce dû à votre pratique du théâtre ?Je ne sais pas. Je le constate avec vous, j’ai besoin de visualiser une scène pour avoir l’impression de pouvoir l’écrire, j’ai besoin de la camper visuellement dans ma tête, et ce sont souvent des images qui naissent d’abord. De la même manière que j’ai une mémoire visuelle, je pense que j’ai une écriture, effectivement, qui fonctionne par séquences visuelles. Est-ce que ça vient du théâtre ou pas ? J’ai plus le sentiment que le théâtre est du côté de la voix, l’autre chose, je crois, qu’il y a dans mon écriture où il y a aussi de visuel et un souci de la voix, de l’oralité. C’est certainement directement lié au théâtre, oui.Ici, ce sont surtout des voix intérieures, qu’il est difficile de faire entendre sur scène…Oui. En même temps, par exemple, typiquement sur Alexandre le Grand, je ne me suis jamais dit : tu vas faire un roman historique sur Alexandre le Grand pour donner à entendre comment ça a dû se passer à l’époque. Ce n’était pas ça, l’enjeu. C’était plutôt, même si ça paraît un peu bizarre de dire ça, faire entendre ce qui est pour moi la voix d’Alexandre. Sa voix, sa fièvre… être au plus près du souffle. Plus que le cadre, plus que l’histoire, c’était le souffle de ces deux personnages-là qui m’intéressait.Si vous aviez penché du côté du roman historique, cela aurait donné au moins 500 pages…Oui, tout à fait. Assez vite, j’ai vu qu’il allait être bref, mais il n’a pas été pensé comme tel. Par contre, il était ramassé dans le dispositif narratif. C’est-à-dire que, en gros, c’est un livre à deux personnages, même si ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il y en a d’autres. Mais c’est presque un livre à deux voix. Et cela, par contre, c’est venu très vite : ce sont ces deux-là qui m’intéressent et ce sera une espèce de chant à deux voix. Ça aurait pu faire quand même 500 pages, mais c’était déjà du côté de la réduction, quand même.Autre chose : vous refusez l’édition numérique de vos livres ?Pour l’instant, oui. Pourquoi ?On est face à quelque chose qui n’a pas encore pris son visage définitif, probablement. Donc personne ne sait très bien encore quelle importance ça va prendre, et je trouve un peu prématuré pour l’instant d’y aller. Ce n’est pas du tout par refus de la modernité, mais je veux y aller à mon rythme.

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