"Je descends des Habsbourg; j'ai été otage des francs-maçons, à la mode latine; j'ai sauté à 12 ans d'un Transall avec une dérogation du général Bigeard" : l'imagination du prévenu a engendré stupeur et fous rires ce lunid, premier jour du procès des "reclus de Monflanquin" à Bordeaux.
Face à face, Thierry Tilly, 48 ans, petit homme d'apparence anodine, lunettes sans monture, polo noir, voix un peu haute, et ses victimes présumées : dix membres (la onzième est morte en 2010) d'une famille d'excellente présentation, les de Védrines, des nobles protestants du Lot-et-Garonne. Comment le premier aurait réussi à isoler dans leur château de Monflanquin puis en Angleterre pendant au moins huit ans ces personnes bien ancrées dans la société, leur faisant croire à un complot franc-maçon et les convainquant de liquider pour 4,5 millions d'euros de leurs biens pour s'en protéger, c'est l'enjeu de ce procès qui se tient pendant deux semaines devant le tribunal correctionnel. Le complice présumé, Jacques Gonzalez, malade, comparaîtra à partir de lundi prochain.
Vie de rêve ou vie rêvée, Thierry Tilly paraît incapable de répondre par oui ou non à une question, s'embringuant dans des détails échevelés, ponctués invariablement de "je peux le prouver". Son père était "nageur de combat", sa mère a failli aller aux Jeux Olympiques comme patineuse, et lui-même, piètre élève en sport, "court le 1.000 mètres en 3 minutes 15" et "a eu une proposition comme gardien de but en première division". Il adore les références. Ses diplômes lui ont été remis par des ministres (Bernard Kouchner et Alice Saunier Seité), un de ses amis était "compagnon d'Alain Minc à Sciences-Po" et sa fille "est surdouée". "Ne craignez rien, le tribunal se met à votre niveau" ironise la présidente Marie-Elisabeth Bancal.
Le propre avocat de Thierry Tilly, Me Alexandre Novion, a du mal parfois à le cadrer : "Taisez-vous (...) vous dites trop de choses en même temps (...) n'allez pas vers le chiffon rouge (...) vous énervez la présidente". Me Novion se demande aussi devant le tribunal "si les déclarations de (son client) ne posent pas la question de sa perception du réel".
M. Tilly, qui nie tout ce qu'on lui reproche, et accuse un des jeunes de Védrines, assure aussi qu'il ne s'est jamais présenté comme agent secret ainsi que ses victimes présumées le disent, et que s'il a tenu au juge d'instruction des propos en ce sens, c'était "pour le pousser à instruire à charge et à décharge". Au passage, il salit une partie civile ou une autre. L'un "tenait une double comptabilité", le mari d'une autre "allait voir les prostituées".
A l'énoncé de la vie des de Védrines, relativement banale mais marquée de petits soucis, jalousies sur un héritage, problèmes de drogue d'un enfant, on pressent comment il a pu lui être possible de tirer parti de leurs confidences pour isoler le groupe de ceux qui ont cru au complot et les pousser à rejeter les autres. Parmi ces sceptiques, Jean Marchand, qui a perdu pendant huit ans sa femme Ghislaine -- c'est elle qui avait embauché Thierry Tilly et l'avait présenté à la famille -- et ses deux enfants. Il espère que "cet homme dont la manipulation mentale est le métier et qui recommencera", soit condamné à une peine qui le mette "quelque temps hors d'état de nuire". Pour sa part, Ghislaine assure que de voir Thierry Tilly "ne lui a fait aucun effet". "Je pense qu'il a parfaitement sa tête mais qu'il passe sa vie à refaire l'histoire. Cela s'appelle la mythomanie". "Mais effectivement, conclut-elle, je me dis : comment as-tu pu te faire piéger?".
Avec AFP
Photo : Jean Marchand, le "sceptique" qui n'a pas cru aux histoires de Thierry Tilly, à l'audience hier matin. Crédit : AFP / Pierre Andrieu
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