Périodiquement, au gré des rachats de la licence, Vampirella nous revient, plus belle et plus sensuelle que jamais. C’est aujourd’hui l’éditeur Dynamite qui en détient les droits, et cet album est le premier volet des nouvelles aventures de notre héroïne vampirique. Je ne vais pas vous refaire l’historique. Je signalerai juste que Vampirella est née en 1969 de l’imagination de l’écrivain Forrest Ackerman, spécialisé dans la science-fiction. A l’époque, en pleine révolution sexuelle, notre héroïne a tout pour séduire un large public, masculin (et son costume minimaliste, imaginé par la dessinatrice Trina Robbins, n’y fut certainement pas pour rien) aussi bien que féminin (elle est l’une des premières héroïnes de BD américaine à osciller à la frontière du bien et du mal).
Vampirella est née sur la planète Drakulon, peuplée de vampires, où l’eau n’existe pas, remplacée par le sang. Pour échapper à la destruction de Drakulon Vampirella se réfugie dans un vaisseau spatial qui vient tout juste d’y atterrir (d’y adrakulonir ?). Ce vaisseau vient de notre planète Terre, et y retourne, avec sa passagère. Sur notre planète elle va bientôt croiser à la fois l’amour de sa vie, pourtant issu de la plus grande famille de chasseurs de vampires qui soit, Adam Van Helsing, puis sa Némésis, un vampire bien connu des amateurs, le Prince Dracula lui-même. Si Adam finira par mourir, laissant derrière lui une Vampirella inconsolable, Dracula, lui, malgré tous les efforts de la belle pour le détruire, parviendra toujours à échapper in extremis à son funeste destin.
On pourrait s’étonner que deux vampires choisissent de s’affronter plutôt que de collaborer afin ainsi d’assurer leur survie. Mais, si Vampirella est une vampire par nature, Dracula, lui, est un vampire par choix. Et si l’une, conséquemment, est donc plutôt du côté du « bien » (l’inné), l’autre est donc forcément du côté du « mal » (l’acquis). Certes le concept est un peu manichéen, mais sans lui il n’y aurait pas d’histoire.
Bref, tout ça pour dire que Vampirella a du pain sur la planche pour nettoyer le monde des petits vampires que Dracula a créés un peu partout pour le servir au mieux. C’est comme ça que notre héroïne, au début de cet album, se retrouve face à l’une de ces créatures, Le Fanu (on notera au passage le clin d’oeil, Sheridan Le Fanu étant un écrivain irlandais du 19ème siècle, auteur d’une des premières nouvelles consacrées au vampirisme, « Carmilla », 25 ans avant le « Dracula » de Bram Stoker). Sauf que Le Fanu, qui est aussi blonde que Vampirella est brune, n’est pas tout à fait une vampire comme les autres. Elle possède un pouvoir très puissant, agissant sur la volonté même de ses victimes en modifiant leurs modes de pensée aussi bien que leurs souvenirs, tout en leur faisant affronter leur propre double inversé. Vampirella en fera d’ailleurs l’amère expérience, puisque tout au long du recit, en plus de Le Fanu, elle devra aussi affronter la Vampirella « restée » sur Drakulon. Une Vampirella certes mentale mais néanmoins fort dangereuse pour la Vampirella « terrestre ».
Le Fanu est tellement puissante qu’elle a même échappé au propre contrôle de son créateur, Dracula, qui, du coup, demande l’aide de sa « vieille » ennemie, Vampirella, pour parvenir à vaincre celle qui, in fine, représente une menace non seulement pour l’humanité, mais aussi pour tous les autres vampires. C’est bien connu, s’ils n’ont plus d’humains à portée de canines pour se sustenter, les vampires sont voués à disparaître.
On l’aura compris, la tâche ne s’annonce pas aisée. D’autant que Le Fanu semble tirer cette puissance d’une entité qui serait apparue au moment même de la naissance de l’univers et qui aurait déjà détruit nombre de mondes et de planètes, dont peut-être même Drakulon... du moins s’il faut en croire la Vampirella mentale. Alors forcément, vu comme ça, l’aide de Dracula ne sera peut-être pas de trop pour mater la rebelle et lui faire mordre la poussière, celle de laquelle Le Fanu n’aurait jamais dû sortir.
Cette histoire est à double détente. On y suit à la fois le combat de Vampirella, et un peu de Dracula, contre Le Fanu bien sûr. Mais on y est aussi témoin du combat mental de Vampirella contre elle-même, ou contre son double drakulonien. Et, des fois, on se demande qui est la plus dangereuse. Au passage Vampirella y gagnera une nouvelle amie et alliée, tout ce qu’il y a de plus humaine, mais pleine de ressources, une punkette du nom de Sofia Murray. Comme la Mina Murray, fiancée de Jonathan Harker dans le roman de Stoker. Une Sofia qu’on retrouvera probablement dans les prochaines aventures de notre vampire préférée, ça ne fait aucun doute.
Pour ce qui est de cet album, c’est donc l’intégrale de cette aventure, parue en sept épisodes aux Etats-Unis, qui nous est proposée, ce qui nous donne un copieux pavé. Et il faut bien ça pour creuser toutes les idées scénaristiques d’Eric Trautmann. Un scénario qui balance entre violence urbaine, combats dantesques entre vampires, et séquences oniriques, qui nous rappellent par bien des côtés le monde des Grands Anciens de Lovecraft. Au dessin ils sont deux à s’y coller, Wagner Reis et Walter Geovani, chacun se chargeant d’une des dimensions spatio-temporelles (terrestre et mentale) dans lesquelles évolue Vampirella, ce qui permet de bien les différencier. L’album est, comme souvent maintenant dans ce genre de recueil, complété par les couvertures originales des magazines américains, y compris les alternatives. Heureuse initiative.