C’est le type sur lequel on ne se retourne pas. Physique passe partout. L’homme normal, tendance début du millénaire. Une tête de VRP, de bureaucrate. Ce qu’il a été. Dans le cinéma ? Une tête à s’abonner au second rôle. Une destinée à devenir un éternel déjà-vu. L’homme que l’on connaît mais que l’on ne reconnaît pas.
Sauf que Ricky Gervais est l’homme qui met les pieds dans le plat. De la trempe des légendes de l’humour anglais, buvant le thé en costume en tweed, le majeur tendu plutôt que le petit doigt. Sorte de Monty Python 2.0.
Si l’homme a pris l’habitude de cacher la vérité sous une réalité sociale artificielle, les Anglais ont érigé cette habitude au rang d’art.
Pas étonnant que ce pays soit le berceau du punk et de l’humour vérité. Un humour que Ricky Gervais va exporter et qui allait bientôt secouer Hollywood.
Ricky Gervais a donc grandit dans une famille tendrement bourgeoise, a enfilé son costume et sa cravate après ses études. Et puis, a tout envoyé bouler. Pendant toutes ces années, l’absurdité du monde du travail lui saute aux yeux. Là où chacun finit par croire à son propre rôle, Ricky Gervais, lui, n’oublie jamais qu’il est dans une grande pièce de théâtre social.
Il crée donc The Office. Douze épisodes, pas plus. Un délire perso. Sauf que les DVD se passent sous le manteau à Los Angeles avant d’y être adapté pendant huit saisons.
Allez au bout de ses délires, c’est ce qui fait la force de Ricky Gervais. Ce qui l’a amené à monter son groupe de musique néo-romantique, Seona Dancing.
The Office est devenue une série culte. Le héraut d’une nouvelle forme d’humour, l’humour vérité.
Si pendant des années, les sitcoms américaines nous ont appris à éviter les blancs, les ennuis, les silences, quitte à la remplir par des rires en boîtes, The Office ne garde que les moments d’ennuis. Ricky Gervais pousse même le vice jusqu’à créer des silences numériques, des silences absolus, pour que la gêne soit totale.
Une conception marquée du rire. « Les clowns ne m’ont jamais fait rire« . Un jeu né du silence. « Eastwood a incarné le personnage de « l’homme sans nom » dans trois westerns en ayant trois lignes de texte par film, et Chaplin était la plus grande star de la planète.
En fait, Ricky Gervais fait ce qu’il veut. « Le plus drôle c’est de rire, et ensuite, juste derrière, c’est de faire rire. Je préfère quand on me fait marrer« . Une approche égoïste, certes, mais l’égoïsme n’est-il pas la meilleure garantie de l’intégrité d’un artiste ?
Depuis The Office, Ricky Gervais est devenu un trublion, un électron libre, bref, un homme que les décisionnaires aimeraient descendre s’il ne faisait pas entrer autant d’argent. « Si tu fais le meilleur film du monde et que tu perds de l’argent, personne ne te parles, tu dois baisser la tête, alors que si tu fais le pire film du monde mais que tu gagnes des millions de dollars, les récompenses tombent. »
Partant de ce principe, le réalisateur n’en fait qu’à sa tête. Qu’à son humour. « L’humour doit être un processus intellectuel, pas émotionnel. » Un quelque chose de nouvelle vague, d’intellectualisme assumé.
« Il y a tellement de films et de programmes anodins et homogénéisés qui essaient de toucher le plus grand nombre que ça ne me dérange pas de fixer une politique très stricte d’entrée dans mon club : tu dois être suffisamment intelligent. »
Que les choses soient claires.
Impertinent (nous dirons intègre), drôle (pertinent), en vogue (dans le vrai), Ricky Gervais se voit proposer la présentation des Golden Globe. Trois ans de suite. Un show, sans filet, où Bruce Willis est présenté comme le père d’Ashton Kutcher, en face de la star.
En trois ans, il se met quelques stars à dos. Pas son idole, Robert De Niro, qui l’appelle après la soirée. « Fuck Them ! C’était des blagues, des putains de blagues, t’étais très bien. »
Depuis, Ricky Gervais a enchainé Extras où il dépeint la vie de figurants, avec des stars dans leur propre rôle. Puis, Life’s Too Short, d’un magnifique cynisme, première série dont le premier rôle est tenu par un nain. Warwick Davis, connu pour sa prestation dans Willow, et qui interprète son propre rôle. Là encore, les stars se prêtent au jeu de l’auto-dérision (il faut voir les prestation de Liam Neeson ou Jhonny Depp).
Finalement, Ricky Gervais apporte ce qu’il manquait à Hollywood : la possibilité de l’auto-dérision.
Voilà qui est Ricky Gervais. Le caillou dans la chaussure. Le petit pois sous le matelas de la princesse. L’enfant qu’on ne peut pas fâcher parce qu’il dit la vérité.
La vérité, son grand combat. D’ailleurs en 2009, il écrit et réalise The Invention of Lying . Film non abouti mais qui bouscule les esprits comme un cri lucide au milieu d’un délirium tremens.
La conception de l’humour de Ricky Gervais est simple. Il s’agit de celle du bon sens. De celle de la vérité.
Chez Shakespeare, « les hommes se déguisaient en femmes, le public vivait, il se passait des choses, les gens réagissaient, c’était plus proche du Saturday Night Live. »
Ricky Gervais est honnête. « Je ne sais pas pourquoi j’ai besoin de créer, mais je le fais. Même les hommes des cavernes faisaient des traces de mains sur les murs. »
Honnête jusqu’au bout. « Comme les autres, j’ai volé des idées à droite, à gauche. Tout a déjà été fait, c’est juste une question de proportion et de dosage de ce que tu voles. »
Et si vous doutez encore de son honnêteté, voilà le contenu d’un mail envoyé à Philip Seymour Hoffman (rien que ça) pour une collaboration. « Cher Philip, pourriez-vous s’il vous plaît tourner dans mon nouveau film L’invention du mensonge ? Il y aura très peu d’argent à la clé car j’ai utilisé tout le budget du film pour des implants testiculaires. Mais ne croyez pas que ce sont tout simplement mes testicules, dîtes-vous qu’elles sont à nous deux. »
Philip Seymour Hoffman a tourné dans le film.
Pour conclure ce papier long, trop long (bravo si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous aurez saisi notre admiration), voilà les mots du maître : « L’humour, c’est ce qui nous constitue. Nous sommes tous dotés d’humour pour faire de l’introspection en attendant la mort. L’humour, c’est quand même une bonne raison de rester en vie, non ? »