Le matriarcat, une legende ?

Par Ananda

On a longtemps conjecturé sur les fameuses « déesses-mères » de la période néolithique.

Certains, tels Bachofen, leur ont attribué une interprétation « féministe », en y voyant la marque, à ces époques reculées, d’une forme de pouvoir féminin (que Bachofen alla même jusqu’à appeler le « matriarcat »).

Il faut, je pense, plutôt y voir un phénomène étroitement lié à la religiosité de la terre qui était celle des paysans du néolithique.

Avec la sédentarisation et l’apparition de la propriété du bétail et des terres désormais cultivées, le regard sur la femme a forcément profondément changé. Au rebours de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs qui en faisaient une monnaie d’échange et une garantie d’alliance entre différents groupes nomades ou semi-nomades plus ou moins voisins (ce qui, du même coup, écartait la menace de l’inceste), les premiers agriculteurs se sont mis à voir en elle une « denrée » qu’il fallait garder pour soi, pour son propre groupe, au même titre que lopins de terre, troupeaux ou encore réserves de grains.

L’enracinement dans un territoire dont on ne bougeait guère plus s’accompagnait d’enracinement dans une maison fixe, en dur (toujours située sur ledit terrain ou à ses abords), qui devenait le foyer.

Le nouvel idéal sédentaire aiguisait l’instinct de possession, le sentiment et le désir d’appropriation, tant des terres, des troupeaux et des stocks issus de récoltes qui avaient demandé beaucoup d’effort que du ventre reproducteur des femmes.

On se mit à désirer transmettre son patrimoine à sa descendance, d’où valorisation extrême de la fécondité des femmes et de sa conséquence : la maternité. Si la femme fut, en quoi que ce soit, « divinisée » et abreuvée de respect, ce fut (comme c’est, aujourd’hui, toujours le cas dans la culture indienne) en tant que mère. Pour le reste, sa sexualité était mise sous haute surveillance, et son corps devenait un objet de contrôle très strict.

En témoigne, par exemple, une très ancienne pratique, qui remonte sans doute aux débuts du néolithique : l’excision dite « pharaonique ». Dans l’Egypte ancienne comme dans maintes autres sociétés anciennes africaines, elle visait à interdire aux femmes, dès leur plus jeune âge, l’accès à la jouissance et, donc, son goût. Quand bien même s’accompagnait-elle de pratiques telles que la filiation matrilinéaire, elle n’en avait pas moins pour fonction de garantir strictement la paternité des mâles. Elle allait de pair avec l’appropriation du corps féminin fertile. Ainsi des expressions telles que « ma femme » ou « nos femmes » purent-elles voir le jour, et se répandre dans le langage courant. La valeur reproductive des femmes était entièrement mise au service de l’idéal endogame de la communauté paysanne, laquelle avait un énorme besoin de bras (au demeurant appartenant aux deux sexes) pour les travaux des champs. Tout se trouvait donc, en un sens, centré sur cette maternité, que symbolisaient les diverses figures de la déesse-mère.

Mais la déification de la femme était sans doute, avant tout, quelque chose d’abstrait, de symbolique. Probablement n’empêchait-elle en rien la femme –même mère – de mener une vie très dure, sous le signe de la soumission et de la coercition.

Le néolithique a vu l’apparition de notre société « moderne » de villages, de hiérarchisations rigides, d’attachement viscéral à la propriété et au territoire, et d’affrontements guerriers (au départ, pour protéger les stocks de grains du pillage). Une société de plus en plus stratifiée, de plus en plus conservatrice, de plus en plus violente, marquée par un très grand essor démographique et par des regroupements humains de plus en plus denses. C’est à cette période qu’a émergé le fameux idéal du « croissez et multipliez ! ». C’est également – en toute logique – à cette même période que s’est enracinée la servitude la plus extrême de la femme lambda, désormais enfermée dans la « famille-prison » où elle se trouve réduite à l’état de « femme-objet » n’ayant plus que des devoirs. L’anthropologue Germaine TILLON l’analyse très bien dans son ouvrage Le harem et les cousins. Par ailleurs, le cas fort intéressant de la société indienne (hindoue) actuelle, profondément marquée par un « esprit agricole » droit issu du néolithique, démontre de façon assez éclatante qu’une société peut fort bien simultanément reconnaître une grande valeur symbolique (religieuse) au principe féminin et maltraiter, rabaisser, opprimer ses femmes réelles, concrètes, dans la vie courante. C’est, justement, au nom de la perfection divine qu’incarne la figure toute puissante de la Déesse que la femme de chair, la femme lambda se doit d’y être irréprochable, vierge de toute souillure et qu’elle est, donc, l’objet d’un contrôle, d’une surveillance quasi maniaques.

Patricia Laranco