Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Je ne surprendrai personne en affirmant que la liberté d’expression est absolument essentielle au bon fonctionnement de notre société et notre démocratie. Dans certaines circonstances, cette liberté se heurte cependant à d’autres droits importants, i.e. le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection de la réputation. Dans ces cas, les tribunaux doivent souvent trancher des questions épineuses au mérite de l’affaire. Je dis bien au mérite parce qu’au stade interlocutoire, les tribunaux ont clairement fait le choix de la liberté d’expression.
En effet, les tribunaux québécois n’accepteront d’émettre aucune injonction provisoire ou interlocutoire qui limite la liberté d’expression à moins d’être dans de « situations les plus claires et rares où le caractère diffamant ou injurieux des propos est évident et ne peut être justifié d’aucune façon. Encore là, l’ordonnance d’injonction ne sera prononcée que si la preuve établit, de façon prépondérante, que l’auteur a l’intention de récidiver ». Cette citation est tirée de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Prud’homme c. Rawdon (2010 QCCA 584).
Dans cette affaire, la Cour reprenait la règle déjà posée dans l’arrêt de principe Champagne c.Collège d’enseignement général et professionnel de Jonquière (J.E. 97-1705). C’est là que la Cour d’appel en était venue à la conclusion de privilégier la liberté d’expression au stade interlocutoire, sauf dans des circonstances extrêmes.
La décision récente du juge David R. Collier dans Forensic Technologies Inc. c. Pyramidal Technologies Inc. (2012 QCCS 2463) fait une très belle revue et application des principes applicables.
Dans cette affaire, la demanderesse recherche l’émission d’une injonction interlocutoire pour prohiber les défendeurs de prononcer des propos faux et diffamatoires à propos des produits et services de la demanderesse et protéger sa propriété intellectuelle.
Le juge Collier rappelle d’abord les principes applicables à une demande d’injonction interlocutoire où l’on cherche à limiter la liberté d’expression d’une autre partie (que nous avons déjà reproduits ci-dessus). Pour satisfaire à son fardeau, la demanderesse devait donc démontrer au stade interlocutoire que : (a) les propos en question étaient diffamatoires, (b) leur prononcé était fautif, (c) qu’ils causaient un préjudice irréparable, (d) qu’il n’existait aucune justification possible pour ces propos et (e) que les Défendeurs risquaient fort de récidiver.
Il indique ensuite que seuls les propos spécifiques peuvent être prohibés au stade interlocutoire, dans la mesure où les défendeurs n’offrent pas de justification possible pour ceux-ci. En l’instance, le juge Collier en vient à la conclusion que, prima facie, les défendeurs offrent des justifications plausibles pour la plupart des propos tenus, de sorte qu’une injonction interlocutoire n’est pas appropriée pour ceux-ci.
Pour les autres, même sans justification, le juge Collier refuse d’émettre une injonction, la demanderesse n’ayant pas démontré de préjudice. Implicite dans son raisonnement est le fait que l’on ne saurait présumer que toute déclaration fausse ou même diffamatoire cause automatiquement un préjudice.
On constate donc que la barre est excessivement haute pour restreindre la liberté d’expression au stade interlocutoire et c’est selon moi parfait comme ça…