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Livre : Les visages écrasés, Marin Ledun

Par Plumesolidaire

 

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Polar RH


Essais, Documents, analyses, rapports, fictions… Tout l’été, Emploiparlonsnet explore les idées et les mentalités sur le travail et le chômage. Aujourd’hui : Les visages écrasés (Points).

Source : http://emploiparlonsnet.fr/les-directs/polar-rh

Chercheur en sciences sociales mène à tout, y compris à s’en sortir avec un thriller multi-primé. Le roman de Marin Ledun (1975), Les visages écrasés, a reçu en 2011, le Trophée 813 du meilleur roman francophone, le Grand prix du roman noir du Festival de Beaune, et tout récemment le prix du Meilleur polar des lecteurs du Points Seuil. Son originalité ? Les nouvelles conditions de travail et ce que l’on appelle désormais les risques psychosociaux passées à la moulinette d’un polar social. Marin Ledun connaît la petite musique du management moderne, pour avoir étudié ces nouvelles pathologies liées à l’organisation du travail. Après avoir publié un essai en 2005, «La démocratie assistée par ordinateur » et s’être rôdé à la fiction, il a fini par ferrer un sujet ultrasensible.


L’écriture sèche de sentiments, nerveuse comme on évoquerait une maladie de nerfs,  saccadée et suffocante parfois, se veut aussi exténuante que le sujet qu’elle met en scène colérique. Soit un call-center, plate-forme comme un radeau de la Méduse managérial, ou tout humanisme est congelé. La loi commune est : inutile au monde ou apte pour ce type de travail. Supervisant tous ces soutiers, Carole Matthieu, médecin du travail qui sait beaucoup sur la casse des corps et des âmes et peut très peu, se laisse contaminer par l’ambiance délétère. Le stress en esprit de système, les cadences et les objectifs intenables, les injonctions contradictoires s’invitent dans son petit cabinet neutre. Neutre mais pas de bois. La détresse, quel que soit le niveau de hiérarchie, s’y radiographie en pathologies de toutes sortes. Le travail quotidien est ulcéré. Seule en première ligne, la toubib finit, elle aussi, par être malade de l’entreprise.


 L’intérêt principal des Figures écrasés est dans sa narration. On lit peu à peu la transformation psychologique de l’héroïne impuissante, folie du désespoir qui finit par transformer le récit lui-même en roman fou à la dérive. Moitié observatrice du système, moitié guerrière mystique d’un dragon qu’elle veut éradiquer. C’est que la docteur Matthieu a désormais une solution définitive au mal incurable qui torture ses patients. Elle les extrait définitivement de l’enfer sur terre. Quitte à ce que ça finisse mal pour tout le monde.
 
La fable acide de Marin Ledun s’appuie également sur toute une vraie littérature grise de rapports et d’études générée ces dernières années sur la question du mal-management. Le polar affiche le diagnostic dès le départ : « Le problème, ce sont ces fichues règles de travail qui changent toutes les semaines. Ces projets montés en quelques jours, annoncés priorité-numéro-un, et abandonnés trois semaines plus tard sans que personne ne sache vraiment pourquoi, sur un simple coup de fil de la direction. La valse silencieuse des responsables d’équipes, toujours plus jeunes et plus inflexibles, mutés dans une autre agence ou partis par la petite porte. Cette tension permanente suscitée par l’affichage des résultats de chaque salarié, les coups d’œil en biais, les suspicions, le doute permanent qui ronge les rapports entre collègues, les heures supplémentaires effectuées pour ne pas déstabiliser l’équipe, le planning qui s’inverse au gré des mobilités, des résultats financiers et des ordres hebdomadaires ». Liste non achevée et qui baigne dans les larmes, les colères froides et toute cette comptabilité invisible de la rancœur.
 
De vrais conflits du travail dissimulés
 
Conte moderne où le DRH serait le nouvel ogre,  et l’entreprise une inquiétante forêt gothique, Les visages écrasés file la métaphore d’une statistique : celle de la hausse observée des maladies professionnelles (à ne pas confondre avec les accidents du travail), qui, sont passées de 5 000 indemnisées par la Sécurité sociale en 1984 à 49 000 en 2009. L’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008, signé par de nombreuses grandes entreprises, qui s’accordaient à prévenir le stress au travail, est resté de l’ordre des vœux pieux. François Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé&Travail le rappelle dans un ouvrage récent, L’Etat de la France au travail (Alternatives Economique poche Ed., novembre 2011) : « Les facteurs qui ont contribué à dégrader le travail et les relations sociales sont connus. Ils sont à l’œuvre dans la plupart des secteurs de l’économie et des fonctions publiques. Ils concourent à isoler les salariés et à les priver d’un nécessaire soutien collectif. Or cette remise en cause du collectif est aujourd’hui au cœur de la souffrance des salariés. (…) Ce qui fait souffrir les salariés, ce n’est pas tant d’avoir trop de contraintes à gérer que de devoir renoncer à faire un travail de qualité, dans lequel on puisse se reconnaître. Et de vivre ce renoncement dans la solitude. Chacun est conduit à se débrouiller seul, selon ses propres critères. Cela débouche fréquemment sur des conflits de travail, qualifiés à tort de « conflits personnels » ». Puisse un bon méchant thriller rouvrir quelques débats.
 
Emmanuel Lemieux, www.lesinfluences.fr
- Les visages écrasés, de Marin Ledun, Points, 384 pages, 7,60 €. Sortie : 24 mai 2012.
 


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