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Après les églises, je me suis dit que ça faisait une paire de semaines que je ne vous en avais pas mis une couche avec les croûtes d'Alfons Mucha. Ben voilà, donc aujourd'hui, quatrième splendeur (dans l'ordre de mon blog) du génie art-nouveau de la série l'Epopée Slave: Le prêche de maître Jan Hus dans la chapelle Bethléem ("Kázání Mistra Jana Husa v kapli Betlémské"). Le tableau peint en 1919 se situent en sixième position selon l'échelle de Mucha, et représente la partie centrale d'un triptyque intitulé "la magie de la parole (dans le sens de la force, du poids des mots). Vous pouvez lire la partie droite du triptyque dans une ancienne publie, pas si ancienne que ça finalement. Et avant d'entamer le vif du sujet, j'en profite pour vous informer que depuis 6 mois, la totalité des 20 tableaux de l'Epopée Slave a enfin été déménagée du trou de "Moravský Krumlov" pour être exposée au palais des Foires ("Veletržní palác", pur style fonctionnaliste), où vous pouvez (selon mes dernières informations) photographier à volonté (mais sans flash et sans trépied, faut pas déconner non plus). Maintenant et malgré que cette publie sera d'un concentré des plus réduits, le sujet n'en sera pas moins énorme, colossal, gigantitanesque pour la planète entière, car il représente un des points de départ des guerres de religions cathos-protestos qui eurent (et ont toujours) les conséquences (depuis 1 demi millénaire) que l'on sait sur le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Et afin de comprendre le pourquoi du comment de tout ce foin qui éclata en tout début du XV ème siècle, je vous recommande auparavant la lecture de ma publie concernant maître "Jan Hus".ContexteAlors maintenant que avez lu ma publie sur "Jan Hus" et que vous savez tout sur le hussisme, inutile de vous en dire plus... Ah si, avant ce bougre de Jean, il en était un autre, Jean aussi, prêcheur, sauveur des âmes damnées, complètement louftingue et qu'on surnomme le père de la réforme tchèque: "Jan Milíč z Kroměříže". Pis aussi après la carbonisation de Jean ("Hus") éclata la guerre civile (connue sous l'appellation des guerres hussites). L'un des meneurs les plus virulents n'était autre que "Jan Žižka", et je vous en avais fait une publie en son temps. Certes, ce n'est pas indispensable pour la suite de notre histoire de tableau, mais c'est essentiel si vous souhaitez comprendre la continuation des guerres hussites, l'accalmie et la tolérance religieuse du XVI ème siècle, puis la guerre de 30 ans, l'empire habsbourgeois, la première puis la seconde guerre mondiale, et enfin le foin dans lequel nous vivons aujourd'hui. Tout ça découle de "Jan Hus", entres-autres, parce que pas seulement que, mais en grande partie tout de même. Et dernières précisions encore. La chapelle fut construite en 1391 sous l'impulsion du courtisan (au sens premier: personne qui est attachée à la cour, au service d'un roi ou d'un prince) "Joannis de Maelhem" (i.e. "Mülheim") et de l'échevin Croix ("Kříž" en Tchèque, "Crux" en Latin) qui offrit ses terres pour la construction. La postérité n'a rien retenu de ce dernier (échevin), même pas son prénom, parfois "Jan", parfois "Václav", et les seules mentions que je vous en ai trouvées ("in area providi viri Crucis, civis majoris civitatis Pragensis") se trouve sur l'édit d'érection/donation du 24 mai 1391 ("anno Domini millesimo trecentesimo nonagesimo primo, die vicesima quarta mensis Maji"). Maintenant sans rentrer dans les détails de cette donation, certains points méritent cependant quelques lignes. Le premier point est la raison de l'érection de cette chapelle: la prédication, le prêche, le sermon ("quod nullus locus [NDS: in civitate Pragensi] ad privilegiatum praedicationis verbi Dei officium sit ibidem specialiter deputatus"). En effet, ce bon sieur allemand de "Mülheim" avait remarqué qu'à Prague, malgré l'abondance de moult maisons de dieu, aucune n'était spécifiquement dédiée au bassinage de masse. Second point: et pourquoi fallait-il bassiner les masses plusieurs heures jusqu'à 2 fois par jour? Parce que sinon ces masses auraient vécu comme des bêtes dans les arbres à l'instar des habitants de Sodome et Gomorrhe ("nisi enim ipse verbi Dei et sanctae praedicationis nobis semen reliquisset, quasi Sodoma et Gomorra fuissemus"). C'est vrai qu'en cette époque, il n'y avait pas de téloche-merdoche ni de journaux-merdo, aussi la prédication alimentait la faim d'imbécilité de la plèbe. Et dernier point intéressant, mais plus en anecdote bouffonne, c'est la solde de 53 Gros versée à un certain Thomas surnommé "Cul" ("Item in Thomassone dicto Prdel, qui residet inter Marssonem a dextra et inter Crucem parte a sinistra, quinquaginta tres grossos census annui"). Sans doute essayeur de chaises, de selles et de coups de pieds au... de son métier :-) Mort de rire. La scèneLe tableau de 810 x 610 cm (en couleur) présente le maître ("Jan Hus") en plein prêche dans la chapelle Bethléem de Prague. Dans la sacristie, se trouvaient 2 reliques d'enfants datant de la naissance de Jésus Christ massacrés (cf. le massacre des innocents) par le roi Hérode à Bethléem (en Palestine). D'où le nom de la chapelle ("capella sanctorum Innocentum, Bethleem nominata, sitam in Maiori civitate Pragensi"). Vous trouverez quelques autres éléments la concernant dans une ancienne publie, là. Mais d'un point de vue architectural, artistique, la chapelle n'a rien de particulier de part sa démolition fin XVIII ème puis reconstruction mi-XX ème siècle. Par contre d'un point de vu historique, c'est énorme. En début de XV ème siècle, c'était le seul lieu où l'on prêchait en Tchèque, dans une langue accessible à tous, quel que soit leur condition sociale (des tous). Et justement, la scène représente "Jan Hus" s'adressant à la foule variée: nobles, bourgeois, ecclésiastiques, vilains, érudits, idiots (ces derniers ne sont pas spécialement visibles sur la toile)... Maintenant notez les divers personnages peints par Alfons. Sous la chaire, les étudiants (anonymes) prennent des notes. N'oublions pas que le maître était également recteur de l'Universitas Carolina Pragensis et que ses sermons venaient en complément de l'enseignement dispensé. Notez la mixité des tudiants: jeunes, vieux, femmes. Complètement sur la droite, sous le fauteuil à baldaquin, la reine Sophie de Bavière, seconde épouse du roi Venceslas IV dont Jean était le confesseur (de la reine). Sa dame d'honneur en jupe rouge aurait été peinte avec le visage de la femme d'Alfons Mucha, Marie Mucha, qui servit d'ailleurs de modèle à de multiples oeuvres de son mari. Je rappelle qu'Alfons employait souvent les membres de sa famille comme modèles dans ses toiles (faible coût, disponibilité, docilité...). Le personnage de la dame d'horreur regarde sur la droite d'un oeil inquiet, et dévisage le méchant bonhomme capuchonné bleu-violet se tenant derrière le font baptismal. Il prend des notes sur son iPad afin d'aller cafter à la cléricafarderie catholique la teneur du discours de "Jan Hus".Complètement sur la droite, debout contre le mur de la chaire, vous pouvez voir le fameux "Jan Žižka" reconnaissable à son cache oeil de pirate. Devant lui, assis peinards, les 2 bougres ayant contribué à l'érection de la chapelle: le courtisan de "Mülheim" et l'échevin Croix. Notez qu'il serait intéressant de savoir si l'Allemand était tchécophone, car dans le cas contraire (fort probable) que faisait-il aux prêches tchèques de "Jan Hus" (masochisme)? Notez également que lors du peinturlurage, la chapelle Bethléem n'existait pas. Elle n'existait plus telle qu'elle était sous les hussites, et elle n'existait pas encore telle qu'elle est aujourd'hui (cf. ma photo). Du coup Alfons a soit étudié des documents d'époque afin de peindre l'intérieur, soit improvisé au mieux de son talent. Maintenant regardez les 3 personnages de dos, en avant plan, entre la reine Sophie et les tudiants. Je n'ai pas la moindre idée de qui c'est (Laurence d'Arabie et ses 2 gros madaires?) mais de part leur localisation sur la toile, de leur localisation sur l'estrade de la reine Sophie, de l'affublement de leurs frusques de marque, ils ne doivent pas être n'importe qui. Mais qui? C'est comme l'empereur Palpatine près de "Jan Žižka", ou les personnages surélevés dans le fond, au-dessus de l'inconnue trinité. Les détails de leurs traits, leur localisation, tout porte à croire qu'ils sont connus, qu'ils appartiennent à l'histoire comme à la scène peinte. En fait il existe plusieurs ouvrages consacrés aux tableaux de l'Epopée d'Alfons, mais je n'ai pas le temps de m'y consacrer, aussi j'en ignore le contenu comme la qualité. J'ai un peu honte de vous avouer mon ignorance sur cette toile, mais depuis Juillet je passe mon temps à catégoriser les photos prises cet été (plus de 4000), à préparer les publies suivantes (3 ouvrages en cours de lecture, et 127 photos en attente de mise en page), à visiter les expos/édifices réservés à l'avance (Dresde, Nuremberg, "Kutná Hora", "Plzeň", "Kadaň"...). Aussi je vous avoue humblement avoir légèrement bâclé cette publie, mais je me rattraperai sur les suivantes, promis. Cet été je me suis offert quelques visites en exclusivité à la Strogoff, que ça va pas être piqué des hannetons.