Parmi tous les éléments de parure qui habitent l'imaginaire baudelairien, le parfum est celui qui a le plus d'importance. Qu'il soit animal ou humain (c'est-à-dire surtout féminin), chaque être se caractérise essentiellement par le parfum qu'il dégage. Ainsi, dans "Le Chat" ("Viens, mon beau chat") :
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.
et dans "Sed non satiata" :
Au parfum mélangé de musc et de havane
C'est principalement la chevelure féminine qui est investie d'un fort pouvoir odorifère, à l'image de la fourrure du chat. Ainsi, dans "Un fantôme" :
De ses cheveux élastiques et lourds [...]
Une senteur montait, sauvage et fauve
Ce rapprochement de la chevelure féminine et de la fourrure animale par leur caractère odorant est renforcé par la nature même du parfum : ce n'est pas tant une odeur légère et agréable qu'une odeur animale et sauvage que recherche le poète : dans "Sed non satiata" et "La Chevelure", il évoque ainsi l'odeur caractéristique du "musc", substance très odorante extraite des glandes abdominale du chevrotin porte-musc, et c'est l'odeur "naturelle" dégagée par la femme qu'il recherche dans Le Lethé où il dit vouloir s'enfouir
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Si l'on s'interroge sur les raisons de cette passion baudelairienne pour le parfum, on remarque que celui-ci fonctionne comme l'alcool, apportant l'ivresse, comme le poète le dit explicitement dans "La Chevelure" :
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Dans "Le Beau Navire", l'analogie est totale puisque le terme de parfum est mis sur le même plan énumératif que deux alcools : la gorge de la femme évoque ainsi une armoire pleine "de vins, de parfums, de liqueurs". Et c'est bien l'ivresse que le poète recherche dans le parfum, ivresse qui rend l'âme voyageuse et l'emmène vers des paysages lointains. Ainsi il affirme dans "La Chevelure" :
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
Le parfum fonctionne pour Baudelaire comme une substance parfaite : comme le dit Jean-Pierre Richard, le parfum permet la vaporisation totale de l'objet, il est à la fois présence et absence et peut ainsi porter le désir baudelairien d'être toujours ailleurs, il est passage vers l'au-delà. Cette idée se manifeste explicitement dans "Le Flacon" où le poète établit une analogie entre le parfum et l'âme dont le corps est le flacon : le parfum semble contenir l'âme de celui qui le porte, et sentir ce parfum permet une communication d'âme à âme. Le parfum constitue donc pour Baudelaire une substance quasi mystique et religieuse, seul élément peut-être à permettre l'intersubjectivité avec le féminin si mystérieux.
(Cet article est un extrait de mon mémoire de maîtrise, j'avais la flemme...)