" Alors aujourd'hui, je désobéis, je transgresse, je romps le silence à mes risques et périls. Je ne veux pas mourir sans l'avoir pleurée. Normalement, avec le temps vient le moment du pardon. Sans lui, pas de travail de deuil possible. Il me suffirait de pardonner. Ce serait si simple, si facile, Hop, le problème serait réglé."
Se relève-t-on d'une trahison d'enfance, quand l'amour tendre, absolu d'une maman vous est d'un coup ôté, au bénéfice d'un amant de pacotille, de proie, sorte d'artiste mégalomane qui n'a autre inspiration que d'asservir sa maîtresse, à coups de réalisations aussi stupides que ruineuses.
Mais il est des familles où tout se tait. Telle cette dynastie Rothschild, patente en filigranes de pages décidées à franchir l'omerta du silence imposé à ses membres. Dénonçant un système dont elle se fait l'entomologue impitoyable et drôle à la fois, la fille de Maurice Rheims tente de comprendre, sinon de dédouaner, l'attitude de sa mère:
"Ce n'est qu'en écrivant cette histoire, celle de ma mère, la mienne, que je vois aujourd'hui à quel point elle était prisonnière de cette implacable mécanique, de ces rouages que la rouille n'avait jamais atteints."
Erigeant une sévère anorexie en rempart contre l'abandon maternel, Nathalie Rheims va, au fil des ans, gagner une liberté, couronnée par l'écriture de ce roman autobiographique majestueusement incendiaire
Apolline Elter
Laisser les cendres s'envoler, Nathalie Rheims, roman, Ed. Léo Scheer, août 2012, 256 pp, 19 €
Billet de faveur
AE : Nathalie Rheims, c’est , au fond , la résurgence d’une lettre, infecte, que vous adresse l’amant de votre mère, qui met le feu aux poudres et signe le départ de ce roman. Destructrice au possible, cette missive aura finalement eu un effet cathartique.
Nathalie Rheims : La lettre est un élément parmi tant d’autres. Oui, j’aime beaucoup l’idée d’un meurtre littéraire. Et que l’idée de la lettre était une bonne façon d’y parvenir mais que depuis la sortie du livre j’ai appris que d’autres lettres arrivaient ça et là, ce qui veut dire que le « cadavre » bouge encore !
AE : La métaphore du feu embrase ce roman beau et courageux. Jusqu’en son titre qui évoque le phénix, oiseau légendaire qui renaît de ses cendres. Est-cela le bénéfice de l’écriture ?
Nathalie Rheims : Le phénix, c’est beaucoup dire ! Le poussin éventuellement ! L’écriture m’a donnée la reconnaissance qui me manquait.
AE : Avez-vous des réactions de membres de votre famille, devant cette dénonciation, à peine voilée, d’un système uniquement basé sur la conservation d’un patrimoine.
Nathalie Rheims : Oui. Ils savent ce qu’est la littérature. J’ai l’impression d’avoir préservé ce qui réellement ne peut pas être dit. Ma famille a trop de respect pour la « création », quelle qu’elle soit pour ne pas porter sur ce livre un regard bienveillant.
AE : Découvrir le secret (inconscient) de votre mère, réaliser que c’était à ce carcan qu’elle tentait de se soustraire plutôt qu’à vous, vous rapproche-t-il d’elle ?
Nathalie Rheims : C’est uniquement une hypothèse littéraire. Et la frontière entre l’imaginaire et le réel est bien mince. Seule l’émotion que me rendent les lecteurs peuvent me restituer une image d’elle qui est pourtant assez floue.