En seconde partie de son Assemblée générale annuelle du samedi 15 septembre 2012, l'association “Tous Créoles !” avait convié le psychologue guadeloupéen Errol NUISSIER à animer une conférence-débat publique sur le thème « Notre société créole en 2012 : mythes et réalités ».
L’occasion pour ce conférencier de tordre le cou de façon “décoiffante” à quelques préjugés qui encombrent nos cerveaux de Créoles, et qui contribuent assurément au blocage de notre société.
En ouverture de ce débat, quatre membres du Conseil d’administration de “Tous Créoles !” ont pris tour à tour la parole, chacun exposant ainsi, dans une expression collégiale à quatre voix, sa vision de la Créolité et les perspectives fortes qui peuvent s’offrir à cette société mosaïque.
C’est tout d’abord Tania de FABRIQUE SAINT-TOURS qui s’exprima au nom de Béatris COMPÈRE, co-présidente de l’association retenue à Paris. Béatris considère que l’acceptation et la reconnaissance de notre existence de Créoles constitue une force, un atout majeur dans la compréhension et l’adaptation au Monde.
De son côté Érick DÉDÉ, vice-président de “Tous Créoles !”, a notamment exposé que la Créolité, cet agrégat dynamique de cultures, a produit un Etre particulier rassemblant les diversités, tout en laissant toute leur place aux particularités.
Nicole DESBOIS, vice-présidente, a pour sa part plaidé en faveur de l’acceptation de notre histoire avec toute sa complexité, et nous a exhortés à construire ensemble l’avenir de nos enfants. Nous devons transformer le cours de cette histoire, dit Nicole, comme on transforme un essai au rugby, en regardant tous dans la même direction.
Enfin, pour conclure cette “expression à quatre voix”, Roger de JAHAM, co-président, a affirmé que la Créolité peut et doit s’épanouir hors de toute option politique : il n’est nul besoin de s’opposer à sa métropole ni d’arracher son indépendance pour se vivre pleinement Créole. La Créolité est définitivement apolitique !
Mesdames et Messieurs, chers amis.
Merci à toutes et à tous de votre présence ici aujourd’hui : c’est le signe fort de l’intérêt que vous portez aux travaux de notre association « Tous Créoles ! ».
Et cette réunion est d’autant plus importante, qu’elle marque le 5ème anniversaire de notre association, née en novembre 2007 de la volonté d’une poignée d’hommes et de femmes de bonne volonté.
Avant de passer la parole à notre conférencier Errol NUISSIER, créole guadeloupéen, nous voudrions vous dire, à quatre voix, quelques mots sur cette Créolité qui nous réunit ici aujourd’hui.
Tania de FABRIQUE SAINT-TOURS
J’ai récemment lu un très joli livre de Jorge AMADO, « La découverte de l’Amérique par les Turcs » (les « Turcs » en question étant en fait les Syro-Libanais arrivés au Brésil au début du XXe siècle), dont le préambule m’a fait réfléchir et je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager mes réflexions : ..."Cinquième centenaire de la Découverte- disent les descendants des intrépides qui découvrirent l'autre côté de la mer. De la Conquête ! - se récrient les descendants des Indiens massacrés, des Nègres réduits en esclavage, des civilisations anéanties au passage des mercenaires et des missionnaires (...) La discussion est engagée, violente, polémique, sans demi-teinte, sans accord envisageable : le sectarisme prévaut d'un côté comme de l'autre; s'en mêle qui voudra au risque de recevoir des balles perdues, mais ce ne sera sûrement pas moi, métis brésilien, produit de la découverte et de la conquête, fruit du mélange"
Ce texte est une preuve de plus qu’à l’exact opposé de cette schizophrénie perpétuelle qui est trop souvent la nôtre, enfants des heurts de l'Histoire, il existe une autre voie : celle de l'acceptation de soi, de la résilience au sens tant écologique du terme, (c’est à dire la capacité à récupérer un fonctionnement normal après un choc) qu'au sens psychologique. Cette résilience chère au psychiatre Boris CYRULNIK, qui nous fera bientôt l’honneur de tenir un colloque à la Martinique, et que nous attendons avec impatience !
Ce secret est à mon sens dans l'acceptation. L’acceptation de soi comme Être riche de sens et de capacités. L'acceptation de l'Autre, de cette part en soi qui nous semble inacceptable car, par le passé, dominatrice et conquérante, étrange et étrangère. L’acceptation enfin et la reconnaissance de notre existence comme une force, un atout majeur dans la compréhension et l'adaptation au monde.
Nous devons donc, il nous faut être Créoles avec conviction mais également avec notre naturelle générosité. Ce n'est qu'à cette seule condition que nous pourrons relever les nombreux défis qui nous attendent !
Le monde se créolise, et chaque fois que ce phénomène a voulu être contrôlé, il s’en est suivi des catastrophes : Guerres ethniques, Guerres de religion, Épurations ethniques. Etc…
C’est exactement là que le racisme a toujours pris naissance. Être raciste c’est refuser la créolité. Si nous ne pouvons définir la créolité dans le dictionnaire, alors définissons pour le moins, ses valeurs.
La Créolité, c’est admettre la pluralité de nos origines.
La Créolité, c’est admettre son histoire comme le socle de sa propre construction, quelle que soit son origine, quel que soit son apport, quelle que soit sa couleur, quelle que soit son positionnement dans l’Histoire.
La Créolité, c’est une personnalité en constante évolution autant dans la langue que dans le rapport à l’autre. Et ceci de manière très spontanée.
La Créolité se construit selon les mêmes règles qui ont fait qu’aujourd’hui, il existe des Français, des Espagnols, des Allemands etc… Tous ces peuples pour ne citer que ceux-là sont passés par le brassage ethnique et linguistique, pour s’ériger en peuple fier à la face du monde.
La Nature n’a jamais su se construire au travers de l’uniformité, mais particulièrement dans la Diversité. Il en va de même pour la Créolité.
Cet agrégat dynamique de cultures a produit un être rassemblant les diversités, tout en laissant place aux particularités.
Nègres Créoles pour l’Afrique, Blancs Créoles pour l’Europe, Indo Créoles pour l’Inde, Sino Créoles pour la Chine et Le Levant.
Supprimer un seul maillon de cette chaîne reviendrait à en dénaturer ses propres fondements.
L’histoire créole, aussi douloureuse soit-elle, préfigure de l’homme de demain, solidaire, apaisé, affranchi de tout racisme et sectarisme.
Le monde se créolise et ce phénomène naturel, donc incontrôlable, mettra un terme aux guerres ethniques, aux guerres de religion, aux épurations ethniques.
Nous sommes Martiniquais, nous sommes Antillais, nous sommes Caribéens.
Notre créolité a commencé à germer depuis l’époque de l’Esclavage ; elle est en pleine évolution aujourd’hui. Travaillons ensemble à son aboutissement demain.
L’association « TOUS CREOLES » fondée autour de ces valeurs, se donne pour mission première de faire de nos différences un œuvre collective.
On pourrait se dire que c’est une belle phrase « point ». Et bien NON. C’est une œuvre à très grande échelle, dont nous ne verrons certainement pas la fin.
Membres de TOUS CREOLES, tous autant que nous sommes, aurons l’unique satisfaction d’avoir pris part à cette grande et belle histoire humaine.
Si tout pèp fiè
Si tout pèp fô
Si tout pèp ni la fwa
Pèp kréyol se an bel chans pou la tè !!!
À Tous Créoles, nous défendons des valeurs d'humanisme, de solidarité et d'égalité. Nous défendons le droit au respect de chacun, quel que soit son origine sociale, sa couleur de peau, sa profession, sa religion. Nous voulons aller plus loin, favoriser les relations entre les groupes humains qui constituent notre société créole, à la Martinique et ailleurs, pour que chacun aille à la rencontre de l'autre et apprenne à le connaître, avec ses différences. Car la méconnaissance, à l’origine de la peur de l’Autre, est le point de départ de grands nombres de conflits.
La connaissance de l’autre est une étape indispensable. La connaissance et l'acceptation de notre histoire en est une autre : une partie de nos ancêtres a été mis en esclavage, contre son gré, par l'autre partie. C'est un fait contre lequel nous ne pouvons rien. Cela fait partie de nous. Ce que nous pouvons, par contre, c'est aller à la rencontre de cette histoire. Grâce aux historiens d'hier et d'aujourd'hui, aux documents d'archives, aux écrivains passionnés d’histoire, mais grâce aussi aux hommes et aux femmes qui ont été (ou sont) des témoins ou des acteurs privilégiés de certaines tranches de vie passée ou actuelle. C'est ce que nous recherchons lors de nos soirées publiques de présentation de livres : favoriser la rencontre, l'échange entre les individus. Je pense en particulier à ce beau moment passé avec Monsieur Ludovic LOURI, à l'occasion de la présentation de son livre "Habitation Trénelle" dans lequel il retrace sa vie sur cette habitation où il a passé son enfance puis une partie de sa vie professionnelle. Je pense également aux journées de convivialité, en particulier à la journée Cré-Yoles, moment extraordinaire pour moi qui ne connaissais rien de la yole. Ce sont 2 exemples, parmi tant d’autres.
Cette histoire est la nôtre, nous devons l’accepter avec toute sa complexité, et nous décider, ensemble, de construire pour l'avenir de nos enfants. Nous devons transformer son cours, comme on transforme un essai au rugby, en regardant tous dans la même direction.
Nous devons être fiers de ce monde créole qui est né ici. Nous devons être fiers de ceux des nôtres qui réussissent, ici et ailleurs. Car nous sommes persuadés que notre avenir dépend de NOUS seuls et de ce que nous serons capables de faire ensemble.
Nous devons trouver une solution d'avenir pour le "vivre ensemble” dans une société apaisée.
Au jour d'aujourd'hui, cela parait un peu utopiste mais nous voulons y croire et les adhésions régulières à Tous Créoles nous confortent dans l'idée que nous sommes sur la bonne voie.
Je terminerai en partageant avec vous cette pensée du DalaÏ Lama : « Ce n’est qu’en trouvant la paix en soi qu’on peut vivre en paix avec les autres »
Roger de JAHAM- Cette Créolité, qui constitue notre personnalité, notre culture, notre patrimoine commun, notre futur, certains –et pas des moindres- prétendent vouloir lui épingler une coloration politique, un positionnement idéologique : en effet, selon eux, ne serait pas Créole quiconque se disant pro-français et anti-indépendantiste ! Surprenante affirmation, qui consiste à vouloir introduire de la politique là où on ne devrait trouver que sociologie, humanisme et résilience.
Pour notre part, nous persistons à penser que la Créolité est définitivement apolitique. Elle peut et doit s’épanouir hors de toute option idéologique : il n’est en effet pas nécessaire de s’opposer à sa métropole et d’arracher son indépendance pour affirmer sa créolité ! Même s’il est vrai que de nombreux mouvements créoles du continent sud-américain et des caraïbes ont rompu avec l’Europe colonisatrice tout au long du XIXème siècle.
On peut donc aujourd’hui, nous semble-t-il, être Créole de gauche, Créole de droite ou du centre, Créole indépendantiste, Créole fauché, Créole nanti, Créole érudit ou Créole analphabète. L’essentiel étant de partager la même volonté de promouvoir notre héritage créole dans sa globalité et dans toute sa richesse, et de mettre au cœur de nos préoccupations le respect de l’Autre.
« Créole » ne peut s’opposer à « Européen » et à « Africain », dont il constitue le prolongement. Nous ne sommes plus ni Africains, ni Européens, ni Syriens, ni Chinois, ni Indiens : nous sommes devenus Créoles. Ainsi que le disait Suzanne CÉSAIRE, nous sommes le peuple « aux quatre races et aux douzaines de sangs ».
Enfin, méfions-nous des conceptions restrictives, pour ne pas dire mesquines et passéistes, qui n'aborderaient le concept de la Créolité qu'à partir d'une lecture figée et orientée de notre histoire. C’est l’une des conditions du vivre ensemble, dans le respect de nos différences, mais aussi et surtout dans leur dépassement ; car si nous ne faisions que respecter les différences, on tomberait alors dans les dangers du communautarisme.
Merci de votre sympathique attention ! Épi pliss fôss pou zot tout’ ! Schœlcher, le 15 septembre 2012