Comme il fallait malheureusement s’y attendre, le Conseil Constitutionnel a confirmé que la corrida était conforme à la loi fondamentale. Les aficionados pourront continuer à s’émerveiller devant le spectacle d’un taureau torturé par un connard à paillettes. Les « Sages », saisis par le CRAC (Comité radicalement anti-corrida) et Droits des animaux ont estimé que « la première phrase du septième alinéa de l’article 521-1 du Code Pénal », qui protège les bourreaux d’animaux sous couvert de tradition ininterrompue, ne pouvait être être déclarée anticonstitutionnelle.
En effet, dans une décision qui confine au chef-d’œuvre d’hypocrisie, les vieux barbons ont considéré qu’on pouvait déroger au principe d’égalité devant la loi si l’intérêt général l’exigeait. On apprend au passage que les combats de coqs sont également parfaitement légaux, puisque l’intérêt général est en cause. Une France sans taureau éviscéré et sans coq castagneur, c’est aussi absurde que le Royaume-Uni sans le tea time ou qu’une Italie sans spaghetti, on y perdrait nos repères culturels.
Comme je ne suis pas aussi cruel qu’un matador, je ne souhaite pas à tous nos cacochymes gardiens de la Constitution de mourir dans des souffrances égales à celles du malheureux bovidé, d’autant plus que la plupart d’entre eux commencent à sucrer les fraises , mais la Nature finira bien par se venger (pour l’intérêt général bien sûr).
Bref, j’étais de mauvaise humeur, et je trouvais que la journée commençait bien mal, en plus j’imaginais Manuel Valls se frotter les mains et se faire quelques Roms pour fêter ça. Heureusement, tout n’était pas perdu: grâce à Simon Casas, ex-torero et directeur « artistique » (beurk) des arènes de Madrid, j’ai appris quelque chose sur moi. En effet d’après mon nouveau copain, je suis « culturellement déficient« , parce que comme d’autres petits salopards je propage le bruit que le taureau n’aimerait pas tant la corrida que ça.
En effet, je ne savais pas de quoi je parlais: si des pointures comme Picasso, Hemingway et Vargas Llosa venaient tromper leur ennui aux arènes, c’est bien que c’est un art, non? Ben voyons. Et quand Picasso allait couler un bronze, c’était de l’art, aussi? Et si l’on suit ce raisonnement, Louis-Ferdinand Céline et Maurice Barrès étaient antisémites, mais comme c’étaient de grands artistes, l’antisémitisme est un art. J’ai bon, là, m’sieur Casas?
Autre aspect de la question que je n’aurais pas pu envisager sans l’aide de Simon: la corrida répond à une réalité culturelle et historique du Sud. Nous autres peuplades du nord-est de la France avons perdu notre identité à force de changer d’occupant tout le temps, et il y a beau temps que l’on ne torture rien d’autres que des mirabelles et la langue française avec notre accent que le monde entier ne nous envie pas. Alors qu’un sudiste, tu lui enlèves son arène et sa bouteille de Ricard, et en trois jours il sombre dans le désespoir et l’anomie, il quitte femme et enfants et part vivre dans les bois car il a besoin de zigouiller des petites bêtes pour exister. Je savais pas, Simon, je savais pas!
Et puis Simon, il les aime, ses taureaux. Un peu comme le poivrot aime sa femme quand il lui a collé deux baffes parce que le cassoulet est froid, mais c’est pas méchant, c’est juste que c’est dégueu le cassoulet froid (chaud aussi, mais là c’est le nordiste qui parle). D’ailleurs, la corrida n’est pas un combat contre le taureau mais bien avec le taureau. D’ailleurs, parfois, on le voit rigoler le taureau, il dit « bien joué, mec, bien placée la banderille, je m ‘y attendais pas mon salaud, allez on remet ça, nan nan je suis pas fatigué t’inquiète, allez viens te la mettre, ha ha dis donc qu’est ce qu’on se marre ». D’autre part, Simon élève lui-même des taureaux et le solde de natalité est largement positif (sur les plus beaux pâturages du monde, nous dit-il, rien à voir avec nos immondes friches industrielles et nos épais Vosgiens). La preuve que les toreros ne sont pas si sanguinaires que ça: ils n’arrivent même pas à tuer tous les animaux, pas comme ces cons de chasseurs qui tirent sans distinction. Le con de chasseur, flanqué de son ami le con de pêcheur, me précise qu’élever des animaux pour les relâcher et les dégommer, ça s’appelle un lâcher, et que c’est encore plus dégueulasse que de flinguer des espèces sauvages. Bande de nordistes, vous ne comprenez rien à l’âme du Sud.
Avant, quand j’étais anti-corrida, je ne me rendais pas compte que je contrariais les plans divins en refusant à l’Homme le droit de faire lentement mourir une bête avant terme. Mais mon ami Simon, il est philosophe. D’après lui, on finit tous par mourir un jour, alors pourquoi ces pleureuses d’écolos nous emmerdent avec la souffrance et la mort? Simon est un adepte de la sagesse tragique chère à la Grèce Antique, et il emmerde ces droits-de-l’hommiste et ces droits-des-animauistes qui ne comprennent rien à la marche du monde et au grand cycle cosmique.
Je mesure aujourd’hui à quel point j’étais dans l’erreur en accusant le Conseil Constitutionnel de lâcheté (pour protéger les intérêts économiques des férias, parce que c’est ça la vraie raison d’intérêt général) et en râlant contre les pressions du Ministre de l’Intérieur sur le-dit Conseil. J’étais tellement ethnocentriste, engoncé dans ma culture messino-messine que je n’avais pas perçu la beauté de la civilisation du Sud, comme dit Simon, où l’on considère encore comme Barbey d’Aurevilly que le meurtre a sa place dans les Beaux-Arts, et que Richard Millet n’écrit pas que des conneries.
Tu m’as convaincu, Simon, mi amigo. Je me mets à la corrida, et je vais commencer par te couper les oreilles et la queue. Pour le Sud, et pour l’intérêt général
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