Il faut mériter Polka Dot, l’installation de Mark Geffriaud au Palais de Tokyo, dans une petite salle ingrate en bas des escaliers au milieu des petits jardins qu’on ne saurait qualifier d’ouvriers dans ces beaux quartiers (jusqu’au 30 Mars).
Il faut alors s’installer au centre de la salle. Une image du soleil (la première photo qui en fut jamais prise, en 1845) tourne autour de vous; ce ne pourrait être qu’un cercle de lumière, une ‘poursuite’ comme au cirque ou dans un camp, faisceau lumineux qui soudain vous aveugle, encore que, en regardant bien, on y discerne quelques taches solaires. Ce cercle, qui s’ovalise dans les coins de la pièce, parcourt les murs à un rythme soutenu et éclaire, ici ou là, une image, affiche, dessin, photo. Rien ne sert, sauf à tricher avec une lampe électrique, de se déplacer le long des murs de la pièce pour tenter de distinguer les motif de ces images; mieux vaut attendre le bref moment où elles seront éclairées, attendre que les images viennent à vous, surgissent du néant, vous imprègnent, et y retournent, jusqu’à la prochaine révolution. Les images fuient, se dérobent, ne se livrent qu’à moitié, qu’un instant. On peut y voire des faces et des profils, des points et des lignes, des constellations et des déformations, y deviner une fascination pour le biais, le travers. Une des photos semble montrer la préparation du lâcher d’un ballon sonde dans l’Arctique, le rond lumineux recouvre parfaitement le ballon noir pendant une fraction de seconde, et la photo de l’éclipse est impossible à prendre. Pouvons-nous jamais saisir les images ? La représentation n’est-ele pas toujours un mirage inatteignable, comme une étoile trop lointaine ?
Mais en fin de parcours, la lumière bute, le faisceau lumineux stoppe, se fixe sur une cible, une proie. Cible bien illusoire puisque, de chaque côté, ce n’est qu’un petit miroir circulaire, féminin, dérisoire. Le faisceau rebondit, éclaire un livre, une photo de film (L’Inconnu du Nord-Express, Pique-nique en Pyjama). Il faut alors s’extraire de la photo, la contourner: elle est percée de cent trous, qui, sur l’autre page, dessinent une constellation céleste. Cette image lumineuse remplace sur notre rétine la photo du film, qui en devient invisible; un imaginaire construit par nous, ensemble de points que nous joignons mentalement pour y voir la représentation mi-théorique mi-réelle d’une constellation, remplace l’imaginaire proposé par la photo des acteurs. Nous avons digéré les images qui nous sont ici proposées, nous avons construit notre propre vision. Mark Geffriaud est adepte de ces perturbations de la vision; il était ainsi là, très discrétement et là, avec un anti-origami.
Evidemment, montrer des photos de cette exposition est une gageure, surtout pour un médiocre photographe comme moi; mais j’aime bien mon éclipse loupée.