Triangle brun
Les persécutions nazies continuent d'inspirer les auteurs de bande dessinée. Peut-être à une époque de perte de repères, ils cherchent à participer au devoir de mémoire pour que l'Histoire ne répète pas ses périodes les plus ignobles. Si depuis Maus d'Art Spiegelman (Gallimard) jusqu'à Airborne 44 de Philippe Jarbinet (Casterman) ou l'Enfant Maudit d'Arno Monin et Laurent Galandon (Bamboo) et bien d'autres, la Shoah a été souvent abordée. Les autres populations concernées l'ont été moins, que ce soient les maçons évoqués par Didier Convard dans Hertz, les homosexuels traités dans Triangle rose de Michel Dufranne et Milorad Vicanovic-Maza (Quadrants). Tous se retrouvent dans des camps de concentration ou de travail comme KZ Dora de Robin Walter (Des Ronds dans l'O) ou Auschwitz de Pascal Croci (Emmanuel Proust) ou encore Deuxième génération : Ce que je n'ai pas dit à mon père de Michel Kichka (Le Lombard).
Quelques années après Tsiganes : 1940-1945, Le camp de concentration de Montreuil-Bellay de Kkrist Mirror et Francis Groux (Emmanuel Proust) et quelques jours après Zigeuner de Jordi Planellas, Florence Fantini et Nathaniel Legendre (12 bis), ce sont les Tziganes qui sont le sujet de cet album. Mais ici pas de détour par la boxe, mais un récit sur le calvaire d'une population qui est toujours aussi incomprise aujourd'hui. L'actualité récurrente autour des Rroms de ces dernières années a pu influencer les auteurs de ces deux albums comme celui - Quand souffle le vent - de Laurent Galandon et Cyril Bonin pour mieux comprendre ceux qu'on appelle aussi les Manouches, Sinti, gitans, bohémiens, romanichels, Cikani, etc.
Le jeune et avenant policier Josef raconte. L'histoire débute en Bohème, aux frontières de la Tchéquie, en février 1939, à l'aube de l'avènement de l'Europe brune et sanglante. Un camp d'une dizaine de roulottes s'est installé près d'un village. Si les habitants ne sympathisent vraiment pas, deux enfants jouent avec les jeunes tziganes. Ceux-ci sont discrètement enlevés par une colonne avancée de soldats allemands pour les conduire secrètement dans un asile spécial à Berlin. Aidés par Josef, père veuf du jeune Roman, les bohémiens vont tenter de retrouver leurs enfants, et se jeter dans la gueule du loup... A croire qu'"ils sont maudits depuis toujours" comme ils l'expliquent à un moment.
Raconté comme un polar, avec même un policier comme personnage principal, avec aussi ses accès sentimentaux entre Josef le gadjo et la ténébreuse rebouteuse Silenka la romni, cet album dense est un véritable document et un récit passionnant. Sa réalisation au lavis d'une étonnante maturité par le jeune dessinateur lyonnais Arnaud Bétend dans une veine réaliste, des plans très cinématographiques et des tons sépia accentue encore ce côté, sans pourtant virer au didactique. Grâce à la finesse du récit de Michaël Le Galli, on en apprend beaucoup sur les mœurs gitans, leurs mythes et croyances comme le drame qui se joue jusqu'au camp d'Auschwitz en Pologne où les Zigeuner traités à part portent un triangle brun. Et finalement, une annexe de six pages vient compléter le tableau de repères historiques. Non ils ne sont pas maudits, mais ils doivent faire face à la haine et l'incompréhension. L'initiation à cette vie nomade et ce destin par Josef renforcent ce sentiment. Oui, il faut de la chance (Botchalo signifie bonne chance) pour surpasser tous ces revers...
Alors donnez sa chance à ce nouvel exercice de mémoire réussi.
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Batchalo - récit complet de 72 page et une annexe de 6 pages - de Michaël Le Galli (Scénario) et Arnaud Bétend meshommages.blogspot.fr (dessin et couleurs) - Delcourt, collection Histoire & Histoires - 19 septembre 2012 - 17,95 €