Parce qu'on ne peut pas aller tous les soirs boire un cocktail au Mocambo, et que les programmes télé risquent de nuire gravement à votre santé, chaque mois (ou presque...), une petite sélection de DVD qui peuvent sauver votre soirée.
Au programme cette fois-ci, quatre films qui, après les avoir visionnés, vont vous donner envie d'enfiler votre vieil imper élimé, d'enfoncer un chapeau mou sur votre tête et d'y aller, au Mocambo, boire de l'alcool frelâté jusqu'à la fermeture, en compagnie d'entraîneuses ménopausées. Vous sortirez en titubant, et comme Frank Sinatra est l'interprète principal de trois de ces quatre films, vous aurez le droit de siffloter "Strangers in the night" avant de vous effondrer contre un réverbère. Autre point commun à ces trois films, c'est qu'ils sont réalisés par Gordon Douglas, à qui on doit pas mal d'oeuvres plutôt symathiques ("F comme Flint", "Appelez-moi Monsieur Tibbs !", des films de guerre, des westerns. Et même "Tiens bon la rampe Jerry").
Tony Rome est dangeureux (Tony Rome, Gordon Douglas, 1967)
Le film démarre dans une ambiance de carte postale, un bateau de plaisance rentre au port sous un ciel sans nuage. A son bord, un marin en blazer et casquette s'ouvre une canette de bière. L'action est accompagnée par une chanson qui nous explique que "Tony Rome is dangerous" (les distributeurs français du film ont donc regardé au moins les premières minutes). L'acteur, c'est Frank Sinatra. La chanteuse, c'est Nancy qui, en tant que fille de "The Voice", a forcément une belle voix. Une fois rentré au port, Tony est appelé par son ancien partenaire, devenu détective dans un hôtel louche, pour raccompagner discrètement chez elle une richissime fille à papa, qu'il a trouvée saoule comme un régiment de Polonais dans une des chambres dudit hôtel. Problème : la broche qu'elle portait a disparu, et ça semble poser des problèmes à beaucoup de monde. A partir de là, les morts s'enchaînent, comme dans un moteur à transmission directe, ainsi que les bonnes répliques. Pour exemple : "Les flics arriveront à faire coucher Tony le jour où les Etats-Unis auront à leur tête un président noir". Tous les ingrédients du genre sont là : le copain flic que le détective fait tourner en bourrique mais qui continue malgré tout à l'aider, la beauté fatale qui s'amourache du héros (Jill St John est parfaite de sensualité dans ce rôle), les hommes de main que le héros flingue aujourd'hui, etc. En regardant ce film, je me suis fait une réflexion : avant, le téléphone, c'était un sacré ressort pour les scénaristes. Tony Rome passe son temps à demander "Où est le téléphone ?", "Je peux me servir de votre téléphone ?" Comment font-ils aujourd'hui ? "Je peux me loguer sur votre Ipad ?", ça a quand même moins d'allure.
La femme en ciment (Lady in cement, Gordon Douglas, 1968)
Tony Rome est de retour dans un second film qui démarre comme le premier, en mer. La casquette de marin est toujours là mais pas Nancy, sans doute partie traîner ailleurs ses bottes faites pour marcher... La musique est quand même signée Hugo Montenegro, on ne perd pas au change. Tony Rome s'adonne à la chasse au trésor englouti avec un ami. En fait de coffre rempli de doublons, il trouve au fond de l'eau une jeune femme qui a oublié d'enlever ses escarpins en ciment avant de se baigner. "Couler les pieds de quelqu'un dans le ciment, c'est démodé comme les mitraillettes dans une boîte à violon" dira avec raison Tony. On ne la lui fait pas, à Tony. C'est un privé exprimenté. Tony Rome ne s'est pas fait en un jour... Il est embauché par un colosse nommé Waldo Gronsky pour retrouver une certaine Sandra Lomax, qui s'avèrera être la femme noyée. L'enquête l'emmène dans un club de gogo danseuses, puis chez la riche et séduisante Kit Forest, incarnée (quel joli mot) par Raaaahquel Welch. Comme dans le précédent opus, les cadavres s'entassent, les verres d'alcool se vident, les bons mots dignes de "Si elle est dedans..." fusent.
Le détective (The detective, Gordon Douglas, 1968)
La même année que le second épisode des aventures de Tony Rome, le "serial crooner" endosse encore une fois le pardessus d'un détective, dans un film nettement moins drôle. Plus gay, mais moins gai, en fait. L'intrigue implique en effet des homosexuels, à une époque où un homo, c'était un sale pédé. Au début du film, au rythme d'un morceau jazzy en diable signé Jerry Goldsmith, on voit arriver le détective Joe Leland sur les lieux d'un crime sordide, la victime, un jeune homosexuel fils d'un gros banquier de la ville, ayant le crâne défoncé, le pénis tranché et les doigts coupés. Vous reprendrez du cervelas ? Le rythme du film est lent, les scènes d'action inexistantes, mais on s'attache très vite à ce flic intègre que l'on presse de résoudre l'enquête et qui se démène en même temps avec ses problèmes personnels, sa femme Karen étant nymphomane. Elle est incarnée par l'élégante Lee Remick ("La grande menace", "Autopsie d'un meurtre"). Au niveau présence féminine, le spectateur est gâté puisqu'on retrouve également Jacqueline Bisset au générique, dans le rôle d'une épouse dont le mari s'est suicidé et qui demande à Joe Leland d'enquêter sur cette mort qu'elle juge suspecte. On aperçoit aussi Sugar Ray Robinson au début du film, mais son apparition est aussi fulgurante que l'un de ses directs.
Détective privé (Harper, Jack Smight, 1966)
Délaissons un Frank Sinatra vieillissant pour finir avec Paul Newman, qui joue ici le rôle de Lew Harper, un détective privé d'un nouveau genre, sans chapeau ni imperméable, mais aussi fauché que les autres. Il est engagé par l'épouse infirme d'un riche homme d'affaires (Lauren Bacall, aussi froide qu'une dalle de marbre) pour enquêter sur la disparition de son mari. Ils sont décidément pénibles, ces maris, à disparaître pour un oui, pour un non. Très vite, le détective comprend que le bonhomme n'est pas parti en galante compagnie, mais a plutôt été kidnappé. Les suspects ne manquent pas, entre les starlettes alcooliques sur le retour, les gourous illuminés vivant reclus dans leur temple solaire, les trafiquants de travailleurs clandestins, le pilote personnel du mari que sa fille Miranda poursuit de ses assiduités (Robert Wagner est cet homme qui résiste aux bikinis à pois de la demoiselle). De nombreuses scènes du film se déroulent dans des clubs de Los Angeles, ce qui permet au spectateur d'apprécier les qualités des figurants en matière de jerk. Ma réplique préférée du film, c'est Harper qui l'a dit à une Miranda lassée de poursuivre de ses assiduités son pilote, et qui décide de changer de cible. Harper l'éconduit de cette phrase lapidaire : "Vous avez un genre de conversation qui tue la conversation". Paul Newman retrouvera deux ans plus tard le réalisateur du film, Jack Smight, dans "Evasion sur commande", dont nous avons déjà parlé ici-même.