Michel Gondry est assurément un stakhanoviste des écrans. Il n’y pas une année où l’on est susceptible de le retrouver à la tête d’un nouveau projet aux ambitions différentes. Touche-à-tout – clips, courts-métrages, longs-métrages, documentaire ou fiction, faces B, épisodes de série – qu’importe, cette variété montre que le cinéaste est un artiste multimédia et protéiforme. Rien de plus normal, alors, que The We And The I vienne participer activement de cette logique.
Le spectateur connaît, et reconnaît, ce cinéaste pour sa saine folie, sa capacité à émerveiller chacun d’entre nous avec trois bouts de ficelles tout en exploitant des ressorts émotionnels d’une grande humanité. Si le premier aspect de cette caractéristique est laissé de côté, on retrouve la deuxième voie dans cette dernière production. En ce sens, The We And The I marque clairement une rupture dans la filmographie de Gondry. Exit les fables poétiques, à la porte les embarquements dans des univers à part, le nouveau film du cinéaste vise un principe de réalité pure. Le dispositif n’est pas nouveau mais il reste diablement efficace : une caméra à l’épaule, des acteurs amateurs, une prise de son généralement directe et The We And The I peut balancer son principe scénaristique, soit un retour en bus scolaire d’une bande d’adolescents lors de leurs dernières journées de lycée avant les vacances d’été. Grâce à ce matériau, le début du film est franchement agréable. Une volonté de la part du réalisateur de se renouveler est clairement sentie. Même si certains tics sont aisément reconnaissables – le générique du début où l’on peut admirer la stéréo la plus cool du monde, une bande originale sertie de classiques – qui témoignent de la dimension résolument pop de l’entreprise, l’ensemble du métrage ne va pas « décoller », façon de parler bien entendu, et va rester dans ce bus, changeant de sièges et d’interlocuteurs, pour un ancrage au plus profond des personnages. A ce titre, Michel Gondry témoigne d’une bien belle direction d’acteurs. Tous sont d’une remarquable justesse et permettent au spectateur de rentrer facilement dans leurs différents statuts. Le réalisateur a initié un projet et il arrive à s’y tenir. Du moins au début, car des soubresauts vont, par moments, arriver.
En effet, au fur et à mesure que le film progresse dans le temps, il ne le fait pas dans un traitement formel qui tourne un peu en rond. Le spectateur se demande alors quels sont les tenants et les aboutissants du projet et si Michel Gondry, à trop vouloir aller dans une simplicité, n’a pas oublié ses enjeux. Le cinéaste en a clairement conscience quand il essaie alors d’aérer son film en représentant quelques pockets films. Différentes images, différents grains, différentes colorimétries et différents formats, la chose se fait petit à petit puis de manière plus violente mais, hélas, ces apartés ne prennent pas. En effet, par cette mécanique, Michel Gondry change son regard de cinéaste et d’ailleurs, ce n’est pas, par définition, lui qui a tourné ces images. Pourquoi alors viennent-elles contaminer le film ? Ce mélange de réalisme et de found footage, qui est également une tentative de prise du réel, donne un caractère confus et reste théoriquement contestable. Quel est alors le point de vue ? La prise de recul sur le comportement de ces adolescents n’est également plus possible. Certes, il faut sans doute y voir une volonté d’entrer au cœur même des situations adolescentes mais les images sont tellement futiles (une soirée, un roulage de pèle, une beuverie, etc) et répétitives qu’elles ne proposent pas de réel discours. Ce type de représentation veut sans doute créer un lien entre ces jeunes mais le spectateur se retrouve en fait délaissé et écrasé. Tout cela est dommageable car l’image comme vecteur d’humanité a innervé, un bref moment, le film autour d’une belle séquence plutôt mélancolique où le pocket film reste en hors champ. Cette utilisation est clairement valable et Michel Gondry aurait dû rester sur cette considération au lieu de jouer la surcharge. Surtout, avec ces changements, le cinéaste nous dit qu’il ne veut pas se renier. Alors, il tente ces collages de bric et de broc pour rappeler à chacun qu’il est surtout un artisan du cinéma, un joueur mais pas un théoricien. Finalement, c’est comme s’il ne croyait pas en son projet. Le carton de fin vient d’ailleurs nous le confirmer quand il convoque les supposés force, gentillesse et amabilité de Michel Gondry. Les spectateurs et les critiques ont déjà, à raison, une haute opinion à son sujet, ce n’est pas la peine de tenter de nous brosser dans le sens du poil. Mais plus que cela, il essaie surtout de se rassurer. Y aurait-il comme un malaise ?
Cette diversion émotive coupe alors le projet du film et son développement théorique finit par s’amenuiser. Pourtant, la construction est d’une brillante subtilité. Plus le bus avance, plus les caractères évoluent, plus les personnages prennent de la consistance. Le mouvement, donc, comme vecteur d’une humanité insoupçonnée se révèle être une idée brillante et, en fond, une belle déclaration d’amour au cinéma. La succession d’images où le mouvement et le temps prennent toutes leurs importances permet de rentrer en profondeur et fait donc du Septième Art un média majeur de représentation de la condition humaine. Pourtant, le spectateur a quand même envie de serrer les dents. En effet, malgré toutes ses apparentes qualités, le métrage prend trop de temps pour se dévoiler réellement. Les entrées et les sorties du véhicule de la part des personnages sont nombreuses et doivent permettre un enrichissement de tous les instants. Or, seuls les derniers va-et-vient prennent une véritable importance. C’est trop peu car l’humanité n’arrive à se déclarer qu’assez tard comme si la grande majorité du film n’était qu’une longue introduction. De plus, le découpage en chapitres n’arrange rien car tout apparaît surligné et surtout trop abrupt, sans linéarité et la profondeur humaine, sans cesse convoquée en filigrane et attendue comme telle, arrive finalement presque comme un cheveu sur la soupe. Là aussi, on peut se rendre compte du manque de confiance de Michel Gondry et du fait qu’il veuille à tout prix se guider pour mieux cerner son propre projet. C’est dommage car la volonté du cinéaste était d’aller clairement vers cette direction humaniste et cette lutte contre les stéréotypes de la jeunesse américaine qu’il n’arrive qu’à effleurer.
Globalement, The We And The I est une tentative assez réussie d’évolution de la part de Michel Gondry et n’est pas désagréable en soi. Cependant, à y regarder de plus près, le film pose quelques problèmes assez inhabituels pour un tel formaliste. Facilement effaçables, espérons qu’ils ne soient que des erreurs sur le chemin que prend le réalisateur vers l’ouverture cinématographique.