Une rentrée 2012, une guirlande de soleils avec Noémie Lvovski, Patti Smith, Douglas Sirk et Michel Bouquet

Publié le 20 septembre 2012 par Petistspavs

C'est bien la rentrée, dans les écoles les écoliers buchent et pour les faire trébucher, M. Peillon annonce l'embauche de 40.000 professeurs en 2013. Sinon, rien ne va et les verts demandent l'interdiction du diesel en ville (le diesel serait responsable de maladies respiratoires et cardiovasculaires et à l'origine de 42.000 morts prématurées par an), mais c'est aussi un drame de fermer l'usine Peugeot d'Aulnay. Bon, je serais plutôt pour fermer les usines de bagnoles et les remplacer par des usines de vélos, mais quand je vois le comportement délinquant de la plupart des racailles à deux roues de Paris, je me prends à rêver de l'An 01, de la fermeture de toutes les usines, de toutes les écoles et de tous les autres bagnes et de leur remplacement par rien. Peut-être un rayon de soleil à suivre, pour l'exemple.
Sinon, la rentrée se passe plutôt pas mal. En cherchant bien, on trouve des films réussis., pas beaucoup, il faut chercher. Une ou deux expos qui ont survécu à l'été (Eva Besnyö l'image sensible, au Jeu de Paume, encore quelques jours pour découvrir cette photographe hongroise élégante et politique, et puis Gerhard Richter à Pompidou, Alice Springs à la MEP). On ressort ses lunettes de soleil pour un dernier défi au temps qui nous emmerde à force de passer et repasser. Où trouver un horloger fou pour remettre le temps à l'envers ?

Un peu de musique pour colorer ce billet de septembre et comme elle a magifié les dernières heures de la Fête de l'Huma samedi dernier, ce sera Patti Smith avec le légendaire Gloria, enregistré en 2007 (même si ce n'est pas vraiment l'ambiance de samedi, dans cette vidéo, la voix, le son, les musiciens, le feeling sont présents). Cliquez et écoutez à fond.

Ce billet de rentrée est dédié à Jean-Pierre Léaud, avec toute mon amitié et mon espoir de le revoir souvent au cinéma.

Le premier film vu en ce septembre est Killer Joe du vétéran William Friedkin et c'est un bonheur pervers. Ce faux film noir est aussi une sorte de western spaghetti local, sudiste, un coup de chapeau (de stetson, donc) au cinéma de genre trashy-crade à la Ettore Scola (celui d'Affreux, sales et méchants) ou Comencini (L'argent de la vieille). Mais au jeu des références, c'est Tarentino qui remporte la mise, notamment pour le décalage de certains dialogues (on pense parfois à la théorie des burgers dans Pulp fiction) et pour l'exaspération un peu grotesque de la violence (lorsqu'un des personnages, las d'éclater la tronche de son adversaire avec son poing, use d'une grosse boite de conserve, c'est drôle et ça rappelle --drôlement -- la scène de la torture musicale de Reservoir dogs avec le génial Michael Madsen en danseur cinoque). Au-delà du cinéma, l'insondable bétise de ces petits américains blancs du Sud profond évoque parfois certains moments de Faulkner, voire Erskine Caldwell (Le petit arpent du bon dieu, et l'obstination bornée de ses personnages ras du front). Je parle sans doute un peu codé pour celles et ceux qui n'ont pas vu le film mais, justement, allez le voir, allez rire et frémir devant la Ronde des Abrutis et revenez me dire ce que vous en avez pensé.

Le deuxième film est Camille redouble et ce fut la belle révélation de cette fin d'été.
Signé Noémie Lvovsky, dont Les sentiments (2003) m'avait laissé de marbre, ce joyau joyeux et grave réussit joliment dans l'art difficile  du retour à l'enfance. L'actrice-réalisatrice utilise la forme du conte pour nous parler du temps, du temps qui passe, du temps passé, du temps qui engloutit toute réalité (comme l'explique à Camille redevenue élève un Denis Podalydès, mieux inspiré ici, en prof de sciences lunaire, qu'en pharmacien magicien refoulé enterrant mémé -- Adieu Berthe) mais qui, pour une seule fois et pour les yeux tristes de Camille, acceptera d'en dégurgiter de délicieux extraits.
Moins que la nostalgie, le temps semble le véritable principe actif du film. On y voyage, on le mesure, on s'y rencontre, on s'y perd, on s'y retrouve, dans un désordre généreux. On le remonte comme, dans le temps, on remontait une montre. Et, c'est une des (nombreuses) belles idées du film, le temps a son démiurge, un horloger carollien qui sait réparer les montres et réparer les gens, qui, à vingt-cinq ans de distance, ne prend pas une ride ou un cheveux blanc (de plus), car il nous vient des univers parfaitement poétiques et intemporels de Cocteau (Le testament d'Orphée) et de son protégé Truffaut : le génial et inoxydable Jean-Pierre Léaud. [A lire : un entretien  jouissif avec l'acteur dans So film n° 3, actuellement en kiosque].
On peut rire des émerveillements incrédules de Camille, aux plaisanteries douces qui peuplent la vallée de larmes qu'elle traverse, mais Lvosky ne se limite pas à nous servir la ènième comédie franco-française de la décennie, son teen movie bleu blanc rouge à elle. Ses interrogations sur l'interaction entre le souvenir et la réalité vécue, sa recherche d'un temps perdu dont elle voudrait tordre le cours, surtout lorsque la tragédie pointe son sale nez pervers, nous amènent doucement (doucement = avec douceur ; de peu de films récents perle autant de douceur) vers la gravité et vers nos propres interrogations plus ou moins métaphysiques, plus ou moins intimes et surtout vers une émotion vraie qui nous porte constamment, comme les bras doux d'une mère, d'un père, vers l'inconnu, l'arrachement.
La très bonne nouvelle est que ce film sans esbrouffe est actuellement celui qui fait le plus d'entrées, France entière.

Le troisième film vu est une occasion de saluer la reprise par la Filmothèque du Quartier Latin (voir le SITE) de cinq films majeurs de Douglas Sirk, majuscule cinéaste américain d'origine allemande un peu oublié, mais dont les mélodrames (ici, il est d'usage d'ajouter l'adjectif flamboyants) des années 50, utilisant toute la gamme dramatique du technicolor, restent une source d'inspiration pour les cinéastes contemporains, parmi lesquels Fassbinder (Tous les autres s'appellent Ali) et Todd Haynes (Loin du Paradis), mais aussi Almodovar, Von Trier et (je le citais plus haut comme lui-même référencé par Friedkin) Tarantino : Quand le Travolta de Pulp fiction est lassé d'avaler des hamburgers, il passe ainsi sa commande : "I’ll have the Douglas Sirk steak, and a vanilla Coke." Bloody as Hell, of course [En matière d'influences réciproques, je tombe par hasard sur un vieux papier torché par moi, de 2007, dans lequel je qualifiais sans crainte le Fin d'automne d'Ozu de "comédie parfois proche de l'univers "factice" d'un Douglas Sirk (voir ICI)".
Ci-contre, l'affiche d'origine du Secret magnifique, premier grand film tourné pour Hollywood par Douglas Sirk qui, entre autres dommages collatéraux, révêla au grand public Rock Hudson, joli garçon mais acteur un peu lisse et massif, parfois à la limite de la benêt attitude (mais qui saura, finalement, se montrer très courageux dans son dernier combat contre le SIDA). Cette affiche, qui crédite en caractères importants l'auteur du livre dont le film est inspiré, ignore à peu près le réalisateur dont le nom n'apparaît qu'en bas, en caractères minuscules.

Loin du Paradis, ce weekend, c'était la Fête de l'Humanité. Nous y étions samedi et, honnêtement, ce n'était pas pour le discours de Pierre Laurent, fils du pâle Paul Laurent (Pierre et Paul, les staliniens, même refoulés, me feront toujours rire), ni pour les merguez enveloppées dans une pétition contre le traité européen, mais pour le concert de Patti Smith. Ce dernier fut d'ailleurs éblouissant : une heure trente en appesanteur et un rappel, là où Peter Doherty s'était contenté de gratouiller sa guitare pendant trente minutes, à l'aise comme dans sa salle de bains, mais moins en voix que le croque mort chanteur Giancarlo, inventé par Woody Allen pour son dernier film, To Rome with love.
Un double bémol à propos de cette fête.
1. La sécurité des spectateurs n'était manifestement pas suffisamment assurée pendant les concerts et on a pu voir en bande des voleurs à la tire très agressifs poursuivre leur petite vie de connards minables pendant toute la durée du concert de Patti. On a connu le service d'ordre plus efficace (même ce weekend, ailleurs). Et j'évite la délicate question des sanitaires...
2. Comment peut-on interprêter le fait qu'on incite le public à rejoindre le site de la fête par les transports en commun, qu'on programme le dernier grand concert à 22 H 00 et qu'on ne prend aucune disposition logistique pour assurer ensuite l'évacuation de la fête dans des conditions normales (humaines) jusq'aux-dits transports. Ayant quitté la grande scène vers 23 h 30, juste à l'issue du concert, et ayant directement pris le chemin de la sortie, nous nous sommes retrouvés, la belle Emma et moi et moi et quelques centaines d'autres pékins dont, il faut bien le dire, un nombre non négligeable de connards alcoolisés (l'alcool révèle le connard plus facilement que les sérums de vérité), dans la position de se débrouiller par nos propres et faibles moyens pour rejoindre un doux nid bien chaud à douze kilomètres du pimpant Fort d'Aubervilliers. Apparemment, c'est la règle, comme le montre ce récit héroïco-fantaisiste d'Emma il y a trois ans sur son blog (quelle écriture ! quel dommage que tu n'écrives plus, Vilaine Fille). Apparemment, rien n'a changé.

Enfin et comme disent nos amis anglo-américains Last but not least, dimanche c'était théâtre. C'était Le roi se meurt d'Eugène Ionesco, au Théâtre des Nouveautés, avec l'immense (mais j'avoue, je ne trouve pas de mot à la hauteur de ce talent, de cette humanité en gestes, en voix, en présence) Michel Bouquet. Je suis rarement allé au théâtre pour y voir un acteur ou une actrice, mais je me souviens, en découvrant le nom de l'acteur sur l'affiche  il y a quelques mois, m'être dit "J'ai de la chance." Cet homme m'a tellement impressionné que je ne sais quoi en dire, car je ne veux à aucun prix être un ton au dessous de l'hommage qui lui est dû. Donc Vive le Roi et Motus.

Michel Bouquet, la Master Classe.

C H O Q UA NT  !

Peu ceux qui en doutaient encore, Charlie Hebdo confirme sa vocation de porte-voix de l'Anti-France. En effet, alors que le merveilleux film populaire français non démago et ne rappelant absolument pas le temps des colonies (temps béni, comme le chantait en son temps Michel Sardou), Les intouchables 1, fait encore plus d'entrées, non seulement ici, mais dans le monde entier (et dans le Maghreb entre autres), que ce précédent merveilleux film populaire français non démago et ne rappelant absolument pas le temps du Maréchal (temps béni, comme le chantait en son temps André Dassary, le parrain de Michel Sardou), Le merveilleux monde d'Amélie Poulain, avec la délicieuse Audrey (non, pas Audreeeeeeeeeeeeeyyyy, juste Audrey Toutou), Charlie Hebdo propose de ce film humaniste, en une, une caricature ignoble : sur ce dessin non signé (Charb, ce n'est pas une signature), le gentil milliardaire en voiture et son ami le bon nèg' rigolo qui fait rien que des bêtises qui font rire les gens normaux sont caricaturés, qui en juif orthodoxe, qui en salafiste ridicule.
Encore un coup (bas, voyons) de cette bande de bobos parisiens de gauche intello-chiants (la preuve, ils rigolent entre eux de dessins que les gens normaux ne trouvent pas drôles et d'ailleurs ne comprennent même pas toujours) de Charlie.
C'est trop facile de défendre des films fauchés que personne va voir (et si personne les voit, comment peut-on savoir qu'il faut les voir ?) et de dézinguer les beaux films qui font plus de vingt millions d'entrées chez nous et plus de vingt millions d'entrées chez les étrangers (et ça, deux fois vingt millions, ça prouve que c'est des beaux films, faut quand même pas prendre les gens pour des cons). Hé bien vous voulez mon avis ? Non ? Ah bon, ben alors à bientôt, alors.

Rien à voir,
mais à voir.

44 FILMS A VOIR A LA CINEMATHEQUE
avec L'inquiétant timide, comme l'appelle Jean-François Rauger dans sa présentation du cycle.

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