Emploi : deux erreurs à ne pas commettre

Publié le 20 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Ayrault a fait de la lutte contre le chômage un objectif prioritaire, comme d’autres premiers ministres l’avaient fait avant lui. Et comme eux il va reproduire les deux mêmes erreurs.

Par Jean-Yves Naudet.
Publié en collaboration avec l'aleps.

Un taux de chômage de 10% et près d’un jeune actif sur quatre au chômage. L’emploi, en particulier celui des jeunes, est la priorité affichée du Président et du gouvernement. On le comprend. Les vraies solutions passent par une plus grande liberté sur le marché du travail. Or les mesures actuelles vont en sens inverse. Cela vient de deux erreurs majeures commises par la plupart des gouvernements : ignorer Bastiat (« ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ») et considérer l’emploi comme un stock donné à répartir. Tant que ces deux erreurs habiteront les esprits, le chômage progressera.

« Priorité à la lutte contre le chômage »

La gravité de la situation de l’emploi n’échappe à personne. Le gouvernement a admis que, selon la définition la plus étroite (catégorie A), le cap des trois millions de chômeurs était franchi. Le taux de chômage a ainsi franchi le seuil des 10% de la population active. Avec une définition plus large, incluant ceux qui ont travaillé un peu au cours du mois, on arrive à environ 4,5 millions, soit 15%. Les jeunes sont les plus touchés : un jeune actif sur quatre est au chômage. Tout cela est hélas bien connu.

Face à cette situation, le gouvernement Ayrault, conformément aux engagements du Président de la République, a fait de la lutte contre le chômage, et tout particulièrement le chômage des jeunes, un objectif prioritaire. D’autres gouvernements l’avaient fait avant lui, souvent dans le même esprit, avec tout un ensemble de contrats aidés destinés aux jeunes, changeant de nom suivant les époques. Le principe est toujours le même, reste seulement à changer le nom. Maintenant on parle d’« emplois d’avenir ».

Les emplois d’avenir

Il s’agit de proposer 100 000 emplois d’avenir en 2013, chiffre porté à 150 000 en 2014, Ces emplois seront créés essentiellement dans le secteur non marchand « dans des activités ayant une utilité sociale avérée ». Analyse hasardeuse : dans le secteur marchand c’est le client qui reconnaît à une activité une « utilité sociale », mais comment mesurer ladite utilité dans le secteur non marchand ? Peu importe : utiles ou non, ces emplois seront financés à 75% par l’État pendant trois ans. Qu’on ne s’y trompe pas : on n’embauche pas les jeunes comme fonctionnaires pour 40 ans : ces emplois sont provisoires.

L’idée n’est pas nouvelle et elle a eu un précédent célèbre avec les Ateliers Nationaux de Louis Blanc, au moment de la révolution de 1848 ! Mais elle peut séduire : mieux vaut être payé par l’État (même indirectement) plutôt que de ne rien faire, d’ailleurs le gouvernement actuel explique qu’il s’agit de donner aux jeunes une première expérience professionnelle.

Mais un passage dans le secteur public est-il la meilleure préparation à l’embauche définitive dans le secteur marchand ? Pourquoi avoir exclu des emplois dans le secteur marchand ? Michel Sapin, ministre du travail, fait valoir un argument de poids : pas d’emploi précaire pour les jeunes, pas de contrat à durée déterminée, pas de petit boulot ; il faut d’entrée de jeu leur donner l’emploi dont ils sont dignes. Sans doute le ministre a-t-il en tête la carrière de ces jeunes polytechniciens énarques qui sont embauchés comme PDG dès la sortie de leurs écoles : le bon peuple, en quelque sorte…

Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas

Toutes les politiques suivies à ce jour privilégient ce qui se voit, en oubliant ce qui ne se voit pas. Frédéric Bastiat avait déjà dénoncé cette erreur radicale il y a plus de 160 ans, dans les Sophismes économiques. « Les avantages que les fonctionnaires trouvent à émarger, c’est ce qu’on voit. Le bien qui en résulte pour leurs fournisseurs, c’est ce qu’on voit encore. Cela crève les yeux du corps ». 150 000 emplois d’avenir, c’est 150 000 chômeurs de moins, 150 000 anciens chômeurs, désormais rémunérés par l’État, donc par nos impôts ; 150 000 consommateurs. Tout cela est clair et Bastiat ne le nie pas.

Il continue : « Mais le désavantage que les contribuables éprouvent à se libérer, c’est ce qu’on ne voit pas et le dommage qui en résulte pour leurs fournisseurs, c’est ce qu’on ne voit pas davantage, bien que cela dût sauter aux yeux de l’esprit. Quand un fonctionnaire dépense à son profit cent sous de plus, cela implique qu’un contribuable dépense à son profit cent sous de moins. Mais la dépense du fonctionnaire se voit parce qu’elle se fait ; tandis que celle du contribuable ne se voit pas, parce que hélas on l’empêche de se faire. Vous comparez la nation à une terre desséchée et l’impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de cette pluie et si ce n’est pas précisément l’impôt qui pompe l’humidité du sol et le dessèche ». Tout est dit : 150 000 emplois d’avenir, c’est 150 000 jeunes chômeurs de moins (ce qu’on voit) ; l’impôt payé pour les financer, c’est autant de chômeurs de plus dans le secteur privé. Et probablement plus encore, en raison des pertes en ligne de la bureaucratie.

L’emploi : un gâteau à partager ?

Voici la deuxième erreur, hélas très ancrée dans l’esprit des politiciens, qui en ont persuadé le grand public : considérer l’emploi comme un stock donné, comme un gâteau à partager.

Cette idée avait inspiré les 35 heures de Madame Aubry, de sorte que le gouvernement Ayrault s’est empressé de supprimer l’exonération de charges sociales et fiscales pour les heures supplémentaires - une des rares bonnes (demies) mesures du gouvernement précédent. Certes les heures supplémentaires étaient une bonne affaire pour les travailleurs, puisqu’ils touchaient leur « salaire complet » sur ces heures, ce qui les incitait sans doute à travailler et ce qui arrangeait sûrement l’entreprise. Mais elles étaient considérées par les socialistes comme autant d’heures de travail enlevées aux chômeurs. De même, la retraite à 61 ans devait à leurs yeux créer du chômage : les jeunes attendant un an de plus que les vieux veuillent bien leur laisser la place !

Le « partage du travail » conduit à un calcul simple : s’il y a 30 millions d’emplois et 3 millions de chômeurs, chacun doit travailler 10% de moins : se créeront ainsi 3 millions d’emplois. De même un million de retraités en plus, c’est un million de postes libérés pour les chômeurs !

L’avenir de l’emploi

La réalité est autre. L’emploi n’est pas un gâteau à partager, dont la taille et la composition seraient immuables. L’emploi se crée et meurt à chaque instant. En France, il y a environ chaque jour 10 000 emplois détruits et 10 000 emplois créés, soit en moyenne entre 3 et 4 millions de mouvements d’emplois chaque année. Il faut donc qu’il y ait plus de créations d’emplois que de destructions, et cela dépend du dynamisme de l’économie, et donc des entreprises et des entrepreneurs.

S’il y a des licenciements ici, il y a des embauches là.

Vouloir empêcher les licenciements, comme cherche à le faire Arnaud Montebourg, c’est maintenir à grands frais des emplois condamnés à terme. Le tissu économique se régénère sans cesse. Certains secteurs ou certaines entreprises emploient moins de personnel parce que la demande s’est effondrée (chandelles) ou parce que la productivité du travail a augmenté (agriculture). Avec la technique Montebourg, nous serions encore 90% à travailler la terre et nous aurions le niveau de vie de la Corée du Nord. C’est parce que des ressources ont été libérées par certains secteurs que d’autres ont pu se développer.

Cette adaptation se fait sans heurt majeur à condition qu’on laisse les entrepreneurs la gérer librement. Le chômage reculera le jour où on aura compris que l’emploi ne peut être créé que par des entreprises répondant aux souhaits des clients et donc libres de leurs décisions, et non pas paralysées par les réglementations et les impôts.

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