Magazine Culture
Pour
tout roman post-apocalyptique – post apo pour les intimes - où les
zombies ont pignon sur rue, il ne suffit pas de charger la mule pour
emporter l'adhésion du lectorat. Comprenez par là que la surenchère
de scènes sanglantes avec tripatouillages de viscères en veux-tu en
voilà, agrémentés d'explosions de cervelles en bonne et due forme
(sinon, ces chers défunts conservent la dent dure...) ne garantit en
rien la qualité de l'œuvre. Si World War Z de Max Brooks est devenu, à juste titre,
une référence du genre, et si Un Horizon de cendres de Jean-Pierre Andrevon ne démérite pas non plus,
à l'inverse, la novélisation
de la bande dessinée Walking Dead visant à mettre le projecteur sur
l'un de ses personnages énigmatiques est un navet du genre : je
marche, je fracasse, je marche, je dépèce avant qu'on ne me dépèce,
je prends une voiture parce que sinon ça va traîner en longueur, et
vas-y que l'autre bouffon il est passé à deux centimètres de
m'arracher le nez, mais heureusement je suis plein de ressources et
je vais en faire baver à tout le monde, zombies et humains
compris... à tout le moins, on peut concéder un bénéfice au
livre, un seul, le style a des airs de berceuse et pourrait même
vous faire économiser une prise de somnifère...
Aussi
pour ne pas rester sur cette impression négative sur ce genre de
romans, il convient parfois d'aller voir ailleurs, et pourquoi pas du
côté de Les Faucheurs sont les anges, un très
bon roman signé Alden Bell. Ici, contrairement à L'Ascension du gouverneur auquel je faisais
allusion, c'est bien le style qui fait toute la différence. Le style
au service de l'histoire, bien entendu.
Temple
a quinze ans et pour elle, le monde d'avant n'existe que par ce qu'on
a pu lui en dire et les vestiges d'une civilisation à jamais
révolue. On sait très peu de choses sur elle. Tout au plus qu'elle
a eu un temps deux compagnons de route et de survie : l'oncle
Jackson, pas vraiment son oncle, et le petit Malcolm, peut-être son
frère mais rien n'est moins sûr, elle-même ne le sait plus très
bien. S'ils ne sont plus avec elle aujourd'hui, on devine néanmoins
très vite les raisons de leur disparition, à défaut d'en connaître
les circonstances. Temple évolue dans son monde avec une relative
assurance, elle en connait les codes, les dangers. Elle ne s'en
laisse pas compter. Elle a quinze ans, peut-être, mais les
événements ont forgé son caractère, favorisé une maturité d'un
autre âge. Armée de sa machette, elle vient facilement à bout des
morts-vivants, les limaces comme elle les appelle. Elle doit parfois
faire face aux survivants, nombreux, qui sillonnent les routes ou
vivent en reclus dans des forteresses érigées sur les décombres
des villes ou des villages. A l'occasion d'une halte dans l'une
d'elles, elle se défend contre un homme qui tente de la violer. Elle
tue l'homme sans l'avoir prémédité avant de sciemment l'empêcher
de se transformer en zombie. Son geste la renvoie sur les routes,
pourchassée par le frère de sa victime.
D'emblée,
Alden Bell
écarte toutes les craintes que l'on aurait pu avoir eu égard à
toutes les héroïnes bêtifiantes de Bit-Lit qui pullulent ici ou
là. Pas de côté gnagnan, pas de mélo ni de mièvrerie. L'histoire
et le monde décrits dans ces pages ne le permettent pas. Les
Faucheurs sont les anges séduit donc avant tout par la crédibilité
que l'auteur a su donner à une Terre dévastée par un fléau qui la
dépasse.. Les descriptions ne s'apesantissent jamais sur les aspects
les plus gore ni les plus scabreux. Ils ont le mérite de la
simplicité et de l'efficacité, ce qui leur donne paradoxalement un
impact bien plus retentissant.
Qui
plus est, et n'en déplaise à ceux qui dénigrent le genre, la
poésie n'est pas absente de ce livre. Elle se révèle dans le
regard que portent les protagonistes sur leur monde, leur
environnement, leur devenir aussi, aussi sombre soit-il... En
parcourant ces pages, je n'ai pu m'empêcher de penser à Des souris dt des hommes de John
Steinbeck, notamment dans le lien tissé
entre Temple et Maury, l'idiot qu'elle a croisé sur sa route et pris
sous son aile.