Tiens, Hamon intervient. Quelque peu assoupi avec les vacances, il a saisi au vol l'opportunité d'une interview avec 60 Millions de Consommateurs pour nous faire part, gourmandise de législateur compulsif, de ses velléités de nous pondre plein de nouvelles (pas petites) lois.
Ce qui est plaisant, avec ces jolies interviews de ministres frétillants, c'est qu'on peut mesurer la servilité de celui qui interroge aux questions posées. Dans cet entretien, par exemple, on décèle que l'association de consommateurs a une vision précise de ce qu'elle attend du nouveau minustre et de ses productions législatives.
Et ça commence dès la première question lorsque Benoît, en charge de la Consommation, détaille son projet qu'il présentera au Parlement au printemps 2013 : on va "enfin" donner à la France la possibilité de regrouper les consommateurs spoliés par le grand Capital mécontents pour équilibrer les forces en présence lorsqu'une (forcément) grande multinationale aura (une fois encore) bafoué les plus élémentaires règles de santé / sécurité / bienséance / solidarité / (ajoutez ce que vous voulez). Ben oui, à plusieurs, on est plus efficace pour extorquer récupérer l'argent d'une grosse firme dont on soupçonne que son appartenance à un pays étranger ou à la nomenklatura française soit, en elle-même, un motif suffisant pour l'attaquer.
Mais attention. Le ministre n'entend pas verser dans ces pratiques américaines qui sont la marque nauséabonde d'une vision exclusivement financière de la société. Bouh, ce n'est pas le genre de la maison :
Ce ne sera pas un dispositif à l’américaine, dont les dérives ont pu conduire à engorger les tribunaux et à favoriser l’émergence de « chasseurs de primes » spécialisés. Le but n’est pas non plus de pénaliser l’activité économique. L’action de groupe est d’abord une arme de dissuasion qui doit conduire, dans la plupart des cas, à une négociation ou à une médiation entre le professionnel et les consommateurs.
Ce que Benoît veut, c'est une belle loi, portant un nom emprunt de solennité républicaine (je suggère Loi Hamon) qui régule la négociation entre des gens qui vendent et ceux qui achètent pour éviter tout débordement privé en dehors des clous stricts et contrôlés du giron public et démocratique. Évidemment, on peut s'interroger, au delà de l'importance vibrante de verser une Loi Hamon au patrimoine légal français, sur la pertinence de cette législorrhée à l'heure de Twitter, Facebook et des blogs foisonnant sur la toile.
En effet, on comprend mal ce qu'offre ce genre de bricolage institutionnel, du point de vue du consommateur qui veut obtenir gain de cause, que n'apportent pas une association d'un côté et toute la puissance d'un bad buzz sur internet, de l'autre. Les exemples abondent en effet de sociétés ayant dû faire volte-face suite à une publicité un tantinet mensongère, à un produit pourri ou mal conçu ou à un pricing ou des pratiques contractuelles douteuses (oui, je sais, il y a des contre-exemples aussi, comme dans toute société imparfaite, mais je n'ai pas le temps d'aborder Apple le sujet ici, pas de trolls, merci).
Après ces considérations techniques sur l'action de groupe, l'entretien continue benoîtement de façon détendue sur les velléités du ministre de légiférer (tiens, encore des lois) sur les offres de crédit à la consommation. Pour rappel, ce domaine avait déjà été carpet-bombé avec Lagarde et d'autres avant elle, mais cela ne suffit pas à protéger le citoyen contre lui-même (son pire ennemi, si l'on en croit l’État qui veut s'écarter des soupçons). Après une vague de bisous, le ministre s'interroge :
le consommateur est-il suffisamment informé de l’engagement qu’il prend lorsqu’il accepte les « réserves d’argent » ou autres crédits renouvelables qu’on lui propose ?
Plus loin, on découvre que le projet de loi autorisera la DGCCRF à faire des embuscades opérations sans prévenir et sans annoncer sa qualité :
Et pour que les agents puissent effectuer des contrôles sans être obligés de notifier leurs qualités – donc qu’ils puissent se faire passer pour un client, que ce soit en magasin ou sur Internet, et prendre sur le fait les professionnels qui ont des pratiques frauduleuses.
Plus personne ne s'inquiète de ces dérives où l’État, ses sbires, affidés et sicaires peuvent débarquer chez un individu sans prévenir ni scrupules, à l'instar d'un maffieux ; cela en dit plus long sur la soumission des citoyens que sur la nécessité de faire rendre gorge à ces salauds de vendeurs de sandouiches frelatés et autres faillitaires peu scrupuleux.
Mais c'est dans les paragraphes qui suivent que le minustre donne toute la puissance de ses raisonnements. Si les précédentes saillies étaient du tir au mortier de bon calibre, ce qui suit ressemble fort à une bordée du Yamato. Quand Ben nous parle concurrence, même Montebourg a du mal à suivre la charge.
Il commence ainsi avec une petite mise en jambe sur Free dans laquelle il utilise toutes les possibilités de confusion mentale qui lui sont offertes. Sur le mode "Le gouvernement doit réfléchir au modèle économique des opérateurs télécoms", Hamon veut nous faire comprendre que sa longue expérience à la direction d'opérateurs mondiaux de téléphonie va l'aider. D'ailleurs, il n'hésite pas à noter qu'avec l'aide de sa cruche végétation collègue Fleur Pellerin, ils ont commencé à phosphorer sur le problème, d'autant que (je cite en conservant mon calme) :
un renouvellement excessif des terminaux mobiles pose des questions environnementales et pèse sur notre balance commerciale.
Ici, on sent qu'une torpille ou deux de bon sens ne suffirait pas devant le blindage énorme du Yamato de la politique à toute réalité économique et environnementale. Surtout que le pilonnage reprend sans faiblir avec un petit couplet pas du tout surprenant sur l'obsolescence soi-disant programmée, par ailleurs confondue, dans un gloubiboulga touchant de naïveté, à cette façon subtile qu'ont les entreprises de démoder leurs produits : notre Benoît veut donc s'attaquer à l'obsolescence programmée, mais attention, dans le domaine du numérique.
Je... Rien que le terme "obsolescence programmée numérique" laisse perplexe. Une image suffira.
Il enchaîne sur le low-cost dans une tornade de n'importe quoi nerveux. On dirait un yaourt brassé trop fort avec de vrais morceaux de contradiction et de WhatTheFuck dedans, qui facilite le transit intestinal et apporte des Omygod-3 par brouettées entières.
Résultat : de plus en plus d’opérateurs sont contraints de faire du low-cost, dans les transports, la téléphonie ou l’automobile. Mais ces salariés qui achètent à bas coût encouragent la baisse des coûts de production, et donc de la rémunération du travail… Cet arbitrage du consommateur salarié se fait au final contre ses propres intérêts.
L'inversion de causalité, c'est maintenant, et ça fait des dégâts. Eh oui, si on s'y met tous ensemble, on peut avoir des coûts de production en hausse et des services high-cost ! La hausse des prix, c'est souhaitable et c'est ce que réclame ce tocard avec ses raisonnements qui tuent des chatons par pack de douze. D'ailleurs, c'est évident : puisque tout le monde veut des prix qui gonflent dans l'immobilier, travaillons le mental et le psychologique des gens pour la hausse de l'essence. Déjà, certains acceptent des taxes stratosphériques pour sauver la planète ! Alors si on peut mettre fin au low-cost, instaurer des prix élevés pour tout et pour tous, cela va, évidemment, créer de l'emploi et sauver la planète ! L'émotion m'étreint. Les bébés phoques ne pleurent plus. Les pandas dansent de joie en farandole sur la banquise qui ne fond plus !
Enfin... Ça danse, ça danse, mais ça ne voit pas arriver la bordée suivante du Yamato dans laquelle Benoît aborde la douloureuse question de la concurrence.
Et là, c'est le drame.
Et c'est donc tout naturellement que le ministre ressort tous les poncifs possibles, en vrac et sans filet, osant même appeler "concurrence" les ouvertures bâclées, timides, lourdement réglementées et semées d'embûches des services postaux ou de l'énergie. Encore plus pathétique, il évoque l'ouverture à la concurrence du service téléphonique de renseignement dont, objectivement, plus personne n'a rien à faire depuis qu'internet a pris le relai. S'il pouvait, il se plaindrait de la difficulté d'obtenir un devis d'un maréchal-ferrand depuis que leurs offices sont libéralisés ! Si l'on se rappelle qu'il admet quelques secondes plus tôt que l'arrivée de Free dans la téléphonie mobile aura donné lieu à une amélioration notoire pour le consommateur, on comprend que ses opinions sur la concurrence ne sont que la purée antilibérale habituelle, contradictions incluses.
Quand on lit, dans les derniers paragraphes, qu'il entend, avec le reste du gouvernement, repartir à l'assaut d'une définition des services publics au niveau européen, on comprend que le but ultime de Hamon n'est pas, très loin s'en faut, de faciliter la vie du consommateur (ce serait un échec épique), mais de laisser une trace indélébile dans l'histoire, et de préférence, qui porte son nom.
Finalement, le consommateur, le Ministre de la Consommation s'en fout.
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