L’artiste conceptuel John Baldessari tentait, dans une vidéo aujourd’hui célèbre, d’apprendre
l’alphabet à une plante verte (Baldessari
Teaching a plant the alphabet, 1972). Dans le poème Man & dolphin – homme & dauphin, un homme tente d’apprendre
le mot « balle » à un dauphin. Le registre de l’homme est celui du
dressage : « Tu dois dire « balle ». / Dauphin, dis
juste balle. / B-a-l-l-e : balle. Hé, // dauphin, dis juste une fois
« balle ». ». L’absurdité de la situation met en évidence
l’inadéquation entre sens et langage, auteur et lecteur : le dauphin parle
son propre langage, il est vain d’essayer de lui faire parler notre langue (ou
plutôt l’une de nos langues, car le poème est écrit en anglais et en
néerlandais, ce qui renforce l’incongruité de la scène). Nous pouvons tout au
mieux jouer à la balle avec lui. Man & dolphin a donc quelque chose
d’un hommage moqueur aux démonstrations logiques de Wittgenstein ou à celles de
la linguistique (Le mot « chien » ne mord pas etc.). Il se présente
comme une fable sans morale, une variation sérielle autour d’une proposition
incohérente. Il nous rappelle aussi qu’en tant que lecteur, nous ne devons pas
chercher à comprendre le poème, à le faire parler, mais seulement à échanger
quelque chose avec lui.
La poésie de Faverey procède d’une double méfiance envers les images et les
théories linguistiques (dont il utilise le potentiel mais raille l’absurdité
scientifique), mais elle semble naître d’une confiance accordée au langage.
Elle se forme autant par associations que par dissociations d’idées, oscille
avec beaucoup de grâce entre formalisme pur et dur et « formes
personnelles ». Quand il écrit : « Je transfère mon nord // vers
le sud-est.», on voit bien comme il fait de l’acte d’écrire (de haut en bas et
de gauche à droite) un déplacement géographique. Cette image de la page comme
carte est très présente dans le livre. L’écriture a lieu sur ce plan :
« Je n’admets pas d’autre espace / que celui-ci ». Le poème est cet espace
entre-deux, un lieu de feed-back entre travail représentatif et travail
métalinguistique « L’un l’autre // se corrigeant continuellement ».
Cette volonté de se placer dans le
langage fait toute la force (et la beauté) de cette poésie inimitable.
[Hugo Pernet]
1Cité par Emmanuel Hocquard dans sa préface à Tout le monde se ressemble, Une anthologie de poésie contemporaine,
P.O.L, 1995.
Hans Faverey, Poèmes (1962.1968.1972).
Traduit du néerlandais par Erik Lindner et Éric Suchère (Théâtre Typographique,
2012).
Un bel article sur Hans Faverey