Dillon © Akileos – 2012
« Nao Brown souffre de TOC, mais pas de ces manies consistant à se laver les mains sans arrêt ou à tout ranger qui font rire les gens. Non, Nao a de violentes obsessions morbides et ses pulsions se traduisent par des rituels mentaux invisibles.
Elle travaille à temps partiel dans un magasin d’art toys tout en essayant de faire décoller sa carrière d’illustratrice. Elle est toujours à la recherche de cet amour insaisissable : l’amour parfait. Et quand elle rencontre l’homme de ses rêves, elle s’aperçoit… que les rêves peuvent être un peu étranges.
Les exercices de méditation de Nao sont une tentative pour apaiser son esprit et ouvrir son cœur. Grâce à eux, elle se rend compte finalement que tout n’est pas noir ou blanc. En réalité, tout est plutôt… marron » (synopsis Quatrième de couverture).
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La publication de cet album en France coïncide à peu de choses près à la date de sortie outre-Manche. Elle représente ainsi l’aboutissement d’un travail que Glyn Dillon a débuté en 2008.
L’histoire se déroule dans un quartier de Londres et met en scène le quotidien de Nao, une jeune métisse anglaise (environ 25 ans). Au moment où nous faisons sa connaissance, elle revient d’un voyage au Japon, voyage qu’elle a mis à profit pour découvrir le pays natal de son père et rencontrer cet homme qui les a quittées, elle et sa mère, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Intrigante héroïne qui nous interpelle dès la première page en présentant une photo qui trône dans l’entrée de l’appartement de sa mère. Sur le cliché, Nao a 13 ans et son look excentrique attire le regard. On sourit mais on se ravise rapidement, interpellé par ce « Ils ne se doutent pas que je suis une putain de malade mentale » qui clôt la présentation du visuel.
Au fur et à mesure qu’on tourne les pages, une étrange impression s’installe : le personnage nous échappe. Mystérieuse Nao qui semble souffrir en silence, inquiétante Nao qui place ses pulsions de mort sur le même plan que ce qu’elle vit au quotidien… j’en suis venue à me demander si ses pensées avaient ou non un réel ancrage dans la réalité. Durant un moment, je me suis demandée si j’étais face à une tueuse en série qui pousser un individu sous les rames d’un métro, rompt les vertèbres d’un chauffeur de taxi… qu’est-ce que cet album allait nous révéler ? Et ces notes que Nao attribue à chaque fois : « Briser le cou du chauffeur… 8 sur 10 », « Au moment où ma main frappe la sienne… j’entends le son mat que fait le verre quand il touche l’émail dur de ses dents juste avant qu’il ne se brise. 8 sur 10 », « Je suis un monstre. Je suis égoïste. Je suis mauvaise, je suis moche, je suis dégueulasse… 10 sur 10 »…
Je suis dangereuse. Je suis mauvaise. Je suis malade.
Deux styles graphiques se côtoient. Le premier, réalisé à l’aquarelle, dépeint le quotidien de Nao. Les teintes fluctuent en fonction de l’humeur de l’héroïne. Tantôt tristes, les couleurs vont trouver une harmonie entre des gris bleus porteurs de toute la mélancolie du moment.
Tantôt gais voire aguicheurs, le lecteur se laissera surprendre par des rouges vifs, des roses bonbons et des bleus assez chauds qui permettent de profiter pleinement d’instants sucrés-salés. On est à la merci du personnage principal, lui-même balloté par des bouffées d’angoisse incontrôlables. Enfin, s’intercalant tout au long du récit, des temps succincts (une demi-douzaine de page) qui développent une fable où un individu – mi-homme mi-arbre – se bat pour survivre et donner du sens à sa vie. Ses obstacles sont différents de ceux rencontrés par Nao pourtant, les deux personnage sont confrontés à la difficulté de s’accepter tant physiquement que psychiquement. De même, tous deux sont en quête de l’amour parfait.
Certes, j’ai mis du temps à me repérer dans le récit, à comprendre la chronologie et à identifier quels sont les éléments narratifs qui ont trait au passé et ceux qui ont trait au présent de la jeune femme. Passée cette gêne passagère, j’ai ressenti un plaisir croissant à m’enfoncer toujours plus loin dans la découverte de l’album. Le rythme du scénario fluctue et s’organise autour de plusieurs temps : les angoisses, l’idylle, les temps consacrés à la spiritualité, les réminiscences de l’enfance de Nao. Nao de Brown développe donc tout un panel d’émotions, d’expériences et de sentiments qui rendent l’ouvrage à la fois attrayant et intéressant du fait de la réflexion qu’il impulse chez le lecteur.
(…) mais ce que je me souviens avoir compris, en dehors du fait que je ne pouvais pas vraiment l’entendre et que nous n’avons pas pu terminer la conversation, était qu’il visait rien moins que le Graal, les notes entre les notes, la vérité sur nos vies maladroites et inconséquentes, tout en essayant de rendre cette vérité séduisante. Le fait qu’il envisageait de voyager aisément entre notre réalité imaginaire, la réalité et le fantastique me parut être une idée brillante et parfaitement adaptée à son talent
(extrait de la Préface de Jessica Hynes).
Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD
Allez découvrir les lectures des autres lecteurs !
Ce récit intimiste est original. On sent qu’il se nourrit d’éléments autobiographiques ou de faits rapportés par l’environnement proche de l’auteur. Une seconde lecture s’avèrera peut-être nécessaire afin d’appréhender ce personnage torturé avec plus de recul et moins de confusion.
Je remercie les Éditions Akileos pour la découverte.
Le site de l’auteur.
Extraits :
« Les filles ont-elles un genre de sixième sens, un radar spécial, qui leur indique quand vous avez renoncé ? » (Le Nao de Brown).
« J’avais toujours de mauvaises habitudes et des peurs irrationnelles. Je me sentais toujours très en deçà de ce que je pouvais être ou de ce que je pensais que j’aurais dû être. (…) Pour la première fois de ma vie, je savais quelque chose sur quoi je n’avais aucun doute. Je savais après cet instant froid et lucide, que cette vérité ne changerait jamais. Je suis mon enfer, ça vient de moi, c’est ma responsabilité et c’est entièrement ma faute. Mais c’est bien. Mes problèmes n’étaient pas du tout des problèmes, mais venaient du lien que j’avais avec eux » (Le Nao de Brown).
Le Nao de Brown
Catégorie Couleur
One Shot
Éditeur : Akileos
Dessinateur / Scénariste : Glyn DILLON
Dépôt légal : octobre 2012
ISBN : 978-2-35574-116-6
Bulles bulles bulles…
Quelques planches visibles sur cet article.
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