L'été s'estompe à Jérusalem, la ville semble hésiter encore entre sempiternelle fournaise estivale et douce brise d'automne. L'été a filé, fugace. Peu à peu, les feuilles chatoyantes des bougainvilliers - fushia, rouge, ou orange - s'étiolent dans les jardins. La nature amorce son changement, Israël à son tour ralentit, le pays s'absorbe dans la torpeur de la "période des fêtes".
Rosh HaShana, d'abord, le nouvel an juif. Entre les collines de Jérusalem retentissait aujourd'hui le son rauque, animal, du shofar¹ soufflé dans les petites synagogues de quartier. Mais l'année ne commence pas encore vraiment: suivent justement ces fameuses "fêtes" et avec elles la promesse de semaines à peine travaillées, presque entièrement consacrées à réunir la tribu autour de pantagruéliques agapes.
Et quand le soleil se couche sur l'an 5772 du calendrier juif, l'année commence donc par un repas...
L'Hébreu est une langue-concept, où chaque famille de mot est dérivée d'une même racine et où les sonorités permettent par le jeu de mots un subtil jeu de sens. S'ensuit un rituel un peu païen, où la racine du mot "épinard" rime avec "bouter" et le souhait de voir nos ennemis repoussés hors de portée de nuire. On mange les mots - une miette de tête de poisson pour poursuivre en avant l'année nouvelle, une bouchée de petit pain rond et sucré pour une année sereine. Grenades, loukoums et sésame, quartiers de pommes au miel, confitures acidulées, tout est bon pourvu que cette année soit plus douce!
Où sommes-nous en cette fin 5772, et que seront nous dans un an? Pour le Jerusalem Post, l'an passé aura été celui où tout s'est "presque" passé. L'état palestinien aura presque été déclaré par l'ONU, presque. En Israël, des élections ont presque eu lieu, le mouvement social qui avait soulevé tant d'espoir a presque été synonyme de changement, le pays a presque gagné une médaille aux jeux olympiques, le régime génocidaire syrien est presque tombé, la guerre avec l'Iran a presque été déclarée...
Mais Gilad Shalit, lui, est enfin rentré chez lui cette année! Et dans la tourmente d'un monde arabe en changement, la situation ici est calme, étonnamment stable. Le pays traverse la crise mondiale avec le plus bas niveau de chômage de son histoire. La croissance économique est positive. Pour la première fois le nombre de Juifs en Israël dépasse celui de la diaspora, nous sommes aujourd'hui presque huit millions. Qui l'eût cru? Les pionniers du petit Etat juif osaient certainement à peine le rêver.
Alors qu'importent les nouvelles alarmistes. Qu'importent les émeutes dans les capitales voisines, la suspension des vols de Tel Aviv au Caire et les tensions d'un Sinaï toujours plus instable, le compte à rebours avant l'Iran nucléaire, les distributions de masques à gaz généralisées, la mort annoncée des accords d'Oslo, l'irrationalité des politiques locales, les gesticulations internationales et les prédictions de conflits chimiques...
S'il est un peu présomptueux de nous souhaiter une année de paix, espérons qu'elle soit du moins apaisée. Et au dessert, quelques figues bien mûres et une lampée d'alcool de mirabelle doivent certainement aider. Shana tova²!
1. Shofar: lors de la fête de Rosh HaShana, une corne de bélier - le shofar - est sonnée durant l'office religieux, plutôt solennel, et invite la communauté à l'introspection. L'instrument symbolise ce passage du nouvel an, et la fête est aussi appellée "Yom Terouah" - le jour de la sonnerie!
2. Bonne année!