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Liban, 2012 (1/6) La fée électricité ne répond plus…

Publié le 18 septembre 2012 par Savatier

Liban, 2012 (1/6) La fée électricité ne répond plus…En 1936, le peintre Raoul Dufy reçut une commande de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, pour une œuvre destinée à mettre en valeur le rôle que jouait l’énergie électrique dans les domaines sociaux et économiques. Ainsi, naquit une gigantesque peinture (250 panneaux qui, une fois assemblés, couvraient plus de 620 m2) intitulée La Fée électricité, que l’on peut voir aujourd’hui au Musée d’art moderne de la ville de Paris.

Le titre même de cette œuvre, à connotation magique, était significatif d’un état d’esprit : vecteur d’un progrès pour lequel on nourrissait autant de culte que d’espoirs, l’électricité devait activement participer au développement de tous les secteurs économiques, d’ailleurs représentés par l’artiste (agriculture, industrie, sciences, transports, activités domestiques, etc.) et ouvrir la voie de la modernité.

La fée électricité nous est si familière que nous n’y prêtons plus guère attention, sauf lorsqu’un événement climatique exceptionnel nous prive temporairement de ses bienfaits. Mais au Liban, cette même fée se montre fort capricieuse : les coupures de courant, mises en place par les pouvoirs publics, sont en effet si nombreuses qu’elles pourrissent la vie de tous les habitants. Un touriste ne s’en apercevra guère, les hôtels étant équipés de groupes électrogènes, mais il suffit de partager la vie des Libanais pour souffrir de cette pénurie organisée.

Avant 2012, on pouvait encore quotidiennement compter sur un total de 12 heures de fourniture (6 h le matin, 6 h le soir) ; depuis quelques mois, celle-ci se réduit à 4 heures quotidiennes (2 h le matin, 2 h le soir), suivant une grille horaire plutôt fantaisiste. Ces 4 heures ne suffisent même pas à recharger les batteries dont chaque foyer s’était depuis longtemps équipé pour assurer le fonctionnement des réfrigérateurs et d’un minimum d’éclairage nocturne ; quant à la qualité du courant, elle est si médiocre que les ampoules ne dispensent souvent qu’une lumière glauque et hésitante.

Officiellement, ces délestages seraient destinés à économiser une énergie presque entièrement dépendante de l’approvisionnent pétrolier et à compenser un déficit de production endémique. Longtemps, il fut dit à la population que les réserves de fuel des centrales étaient au plus bas… jusqu’à ce jour de l’été 2006 où l’aviation israélienne bombarda les réservoirs de celle située à Jieh (près de Saïda) qui, pleins à craquer, mirent des jours à se consumer et déverser leur contenu dans la mer. L’argument pétrolier ne résiste pas davantage à une autre réalité : un nombre croissant de foyers s’équipe de groupes électrogènes, dont la consommation cumulée dépasse, à production énergétique égale, celle d’une centrale – sans parler, bien sûr, des émissions de polluants, nettement supérieures et non filtrées !

Aujourd’hui, les autorités justifient les nouvelles coupures par la fin des importations d’électricité depuis l’Egypte et la Syrie et l’arrêt concomitant de centrales thermiques (notamment Deir Amar) pour des travaux d’entretien. Il convient toutefois de noter que le secteur géographique le plus fortement consommateur d’électricité, Beyrouth où habitent la plupart des politiciens, ne subit que très peu de coupures (3 h par jour au maximum), celles-ci étant réservées à la province – les « péquenots », jugés plus dociles sans doute, devant se contenter de la portion congrue.

Il serait intéressant d’analyser les origines réelles de ce rationnement ; la presse, qui se limite, comme le soulignait un récent article du quotidien francophone L’Orient le Jour, à remarquer qu’une telle pénurie ne se rencontre même plus « au fin fond de l’Afrique », ne semble pas lancer ses journalistes d’investigation sur cette piste. La population, toutes catégories sociales confondues, dénonce, qui la vétusté des centrales de production, qui une incompétence coupable dans la gestion des ressources (le prix du kW/h produit est ici le plus élevé du bassin méditerranéen), qui – ce sont les plus nombreux – un niveau croissant de corruption des décideurs, quelle que soit leur étiquette politique, dont certains auraient des intérêts dans le marché privé de la fourniture d’électricité ou la vente de groupes électrogènes. Sans doute le cumul de ces facteurs, dans des proportions variables, correspond-il à la réalité. Mais ne jetons pas si facilement la pierre au Liban pour des procédés dignes d’une république bananière : notre précédent gouvernement ne nous imposa-t-il pas l’achat d’éthylotests pour chaque véhicule, sous la pression d’un lobby prétendument attaché à la sécurité routière, dont les principaux animateurs travaillent – mais il ne faut y voir que le fruit du hasard – pour des fabricants… d’éthylotests, le tout dans l’indifférence générale ?

Liban, 2012 (1/6) La fée électricité ne répond plus…
Au Pays du cèdre, l’incurie s’expose quotidiennement au grand jour, et pas seulement dans le secteur énergétique ; ainsi, le 6 septembre dernier, la colline de déchets urbains qui borde la ville de Saïda et se répand en partie dans la mer a une nouvelle fois pris feu, couvrant d’une fumée incommodante de nombreux quartiers pendant plusieurs jours (voir photo). Ce phénomène est récurrent depuis des années sur cette décharge que les Libanais, qui ne manquent pas d’humour, ont baptisé « la montagne de Saïda ». Il est inutile de souligner la toxicité de telles fumées pour la santé des habitants. Plutôt que d’avoir mis en place une solution efficace pour résoudre ce problème, le gouvernement a récemment préféré promulguer une loi interdisant de fumer dans les lieux publics, dont le texte ubuesque punit les contrevenants d’amendes égales à 20% du SMIC, voire de prison en cas de récidive, selon un magazine économique local ! Il est vrai que cette mesure, destinée à donner au monde l’image d’un Etat soucieux de la santé de ses administrés, ne coûte rien au budget et peut même rapporter beaucoup. Etait-elle pour autant si opportune ?

Soumettre, au nom de la santé publique, la population à cette contrainte hygiéniste, alors que fumer le narguilhé au café ou au restaurant reste ici une coutume de convivialité enracinée depuis des siècles était-il si urgent ? Les rejets industriels dans l’atmosphère, fort peu contrôlés, les gaz d’échappement de véhicules hors d’âge et ceux d’une multitude de groupes électrogènes qui crachent leurs fumées en pleine rue ne sont-ils pas plus nocifs que quelques volutes de tabac levantin ? Et n’aurait-il pas été plus urgent de fournir à tous – et surtout aux plus modestes – un accès normal à l’électricité que de les priver de l’un des rares plaisirs qu’ils peuvent se permettre ? On semble bien, ici, marcher sur la tête.

Les coupures d’électricité et les incendies de déchets, pour pénibles qu’ils soient, ne constituent pourtant pas le phénomène le plus préoccupant du Liban de 2012 : les conflits intercommunautaires croissants ont davantage lieu d’inquiéter. C’est à ce sujet que sera consacré le prochain article.

Illustrations : Raoul Dufy, La Fée électricité, Musée d'Art moderne de la ville de Paris, photo D.R. - Incendie de la "Montagne de Saida", 6 septembre 2012, photo © Rim Savatier.  


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