En DVD et Blu-ray : Premier film de Fassbinder réalisé en anglais, bénéficiant d’un confortable budget et d’un casting 3 étoiles, tourné au beau milieu des années de plomb (1978) dominée par les affres de la bande à Baader, Despair surprend de la part d’un réalisateur engagé, peintre et contempteur de l’Allemagne d’après-guerre.
Production internationale de prestige
Adaptant l’écrivain d’origine russe Nabokov – Lolita - , sur un scénario du dramaturge britannique Tom Stoppard – futur auteur de L’Empire du Soleil et de Brazil – Rainer Werner Fassbinder dresse le portrait d’un Russe émigré dans le Berlin des années 30, directeur d’une chocolaterie, en proie à une schizophrénie rampante qui le mènera jusqu’à la folie. Là où un Bergman quelques mois plus tôt dans L’œuf du Serpent avait dépeint un Berlin expressionniste et ravagé par les rats, la misère et la folie, son cadet allemand en livre une vision à la fois glaciale et maniérée – typiquement fassbindérienne. Appartement Arts décos, clairs obscurs, tons blafards, multiplication des vitres et labyrinthes, Berlin – reconstitué dans les studios Bavaria de Munich – est littéralement sous influence Fassbinder, épaulé par le génial Michael Balhaus à la lumière.
Fassbinder égaré
Et pourtant… Intrigue trop absconse ? Trop respectueux de Nabokov ? Maîtrise imparfaite de la langue anglaise ? Faute à un montage resserré ? Ou à un casting international pas toujours évident – autant Dirk Bogarde y livre peut-être sa composition la plus riche et la plus complexe, autant le choix d’Andréa Ferréol, certes star des années 70, semble discutable, surtout quand on dispose d’Hanna Schygulla ou de Barbara Sukowa ? Le film laisse une impression de gâchis et de vacuité. Comme si Fassbinder s’était perdu derrière cette production de prestige, destinée à l’international. Et à la reconnaissance critique et publique. Présenté à Cannes en 1978, Despair en revient bredouille, et le film demeure un énorme échec commercial.
Retour aux fondamentaux
Paradoxalement, c’est en revenant à ses fondamentaux (thèmes, acteurs fétiches, scénario, langue) qu’il accèdera un an plus tard à la reconnaissance internationale après laquelle il courait là, de manière un peu trop visible, avec Le Mariage de Maria Braun. Reste une œuvre étrange, importante à avoir en tête dans la carrière du cinéaste, dédiée à Artaud et Van Gogh, mais le prototype même du grand film malade.
Un mot sur le DVD édité par Carlotta : malgré les défauts du film, il faut saluer la qualité du transfert, ainsi qu’un passionnant documentaire de plus d’une heure sur la genèse du film, et qui permet en filigrane de comprendre pourquoi et comment Fassbinder s’est un peu égaré.
Travis Bickle