Le digital nécessite de repenser nos environnements de travail sous une forme moins formelle et plus collaborative. Des "we space" où prime la possibilité de rencontre, quand elle est nécessaire.
Interview de Nicole Turbé-Suetens, Expert international chez Distance Expert, rencontrée à l'occasion de la conférence du Club DéciDRH : Quelles stratégies adopter en matière de digital", organisée en partenariat avec L'Atelier.
L'Atelier : De quelles façons le digital va-t-il transformer les comportements dans le monde de l'entreprise et les espaces de travail?
Nicole Turbé-Suetens : Le digital, et surtout la dématérialisation qui est rendue possible grâce au digital, a déjà commencé à bouleverser le monde des organisations (privées et publiques) du fait même qu'avec un matériel plutôt léger on peut travailler n'importe où à partir du moment où l'on est connecté. Aujourd'hui c'est déjà la capacité à se connecter qui est devenue plus importante que le lieu de travail pour de nombreux métiers. La finalité de l'espace de travail change. Dans un nombre grandissant de cas, nous ne sommes plus obligés d'aller dans l'entreprise pour travailler. Et lorsque nous y allons, c'est souvent pour faire des choses précises qui demandent un aménagement ad hoc; ou pour voir des gens. Et ces personnes n'ont pas besoin d'être à un endroit fixe dans l'entreprise. Il est nécessaire de pouvoir réserver à distance le type d'espace dont on a besoin pour se retrouver avec les autres ou tout simplement de profiter d'un « we space ».
Le "we space" est-il la représentation pour vous de l'espace de travail de demain?
Pour moi, le "we space" représente des lieux de collaboration informelle où l'on se retrouve avec les personnes avec qui on a besoin ou envie d'échanger à un moment donné. Un exemple concret est ce lounge du siège Evergreen du Crédit Agricole à Montrouge. A l'avenir, il y aura donc « des » espaces de travail et non pas un espace de travail type. La nature de ces espaces et leur nombre dépendra des activités qui doivent être exécutées, du niveau de flexibilité qui est accepté, de l'état d'avancement de la dématérialisation pour les processus où c'est possible, et tout simplement de l'impulsion donnée par les dirigeants lorsqu'ils auront compris que les vieilles méthodes de management par le contrôle sont totalement dépassées.
Aujourd'hui, le frein majeur est le niveau de dématérialisation, en dehors du frein managérial, pour aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite dans l'évolution des organisations. L'organisation des bureaux n'est que le reflet de l'organisation hiérarchique de l'entreprise. Cela ne tient pas compte des besoins de circulation, d'activités, de réalisations des tâches et ne parlons pas d'affinités des personnes.
Faut-il du coup envisager les entreprises comme de grands campus ?
C'est une solution et il y en a probablement d'autres qui émergeront. Même un campus peut être aménagé de façon traditionnelle si l'on n'a pas compris que l'esprit même d'un campus c'est « la circulation et la fluidité ». Si l'on retourne à l'origine qui sont les campus universitaires de style californien, l'idée est bien que l'on puisse choisir le lieu où l'on va s'installer pour travailler pour réunir les meilleures conditions possible par rapport à sa propre façon de travailler et aux besoins que l'on a à un moment donné. Puis, il y a les lieux fixes à l'intérieur du campus où l'on se retrouve pour des activités bien définies, comme un amphi, mais où l'on s'installe ou l'on veut en fonction des affinités du moment ou de l'importance que représente ce cours en particulier. C'est la manière dont est organisé le campus Atos à Bezons.
Comment parvenir à basculer vers ce système "collaboratif" qui permet à la création de s'épanouir?
Nous sommes en France au début de la révolution des modèles d'organisation et il nous faut respecter le rythme de changement que l'humain est capable de supporter pour que toutes les parties restent gagnantes. En effet, il y a une très grande différence entre la capacité à avoir un regard prospectif sur l'évolution du monde du travail et la capacité humaine à supporter un certain niveau de changement, de transformation et d'adaptation et surtout d'appropriation d'usages. Mais, il n'y aura pas de retour arrière car les populations qui sont actuellement actives dans le monde du travail n'ont plus rien de comparable avec celles d'il y a 20 ou 30 ans alors que nous vivons encore dans les modèles d'aménagement qui datent de cette période.