Absente de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, l’insurrection apparaît dans le discours politique français avec l’article 35 de la Constitution du 24 juin 1793 qui stipule que "quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs".
Cette ambiguïté fondatrice sort renforcée sous la plume d’Édouard Ebel qui s’interroge sur le rôle joué par la gendarmerie dans la "contre-insurrection". Inscrivant sa réflexion dans la longue durée (1791-1962), il pose implicitement trois questions auxquelles le droit peut répondre, mais de façon insuffisante : qu’est-ce-que la guerre ? Qu’est-ce qu’une insurrection ? Qu’est-ce que la gendarmerie ? Il répond partiellement à la troisième en faisant référence à Galula expliquant, d’après ce dernier, que la gendarmerie intervient dans "cet interstice qui sépare une situation de maintien de l’ordre dégradée et la guerre". Ce faisant Édouard Ebel nous propose un article essentiel à toute réflexion sur la gendarmerie et plus généralement à son action et à son positionnement dans un continuum paix – espace indéfini – guerre rythmé par les opérations de maintien de l’ordre puis de contre-insurrection sans qu’il soit possible de qualifier de façon précise celles qui se déroulent dans cet espace indéfini que Galula qualifie "d’interstice" ! D’où, peut-être, d’ailleurs, la raison d’être historique de la gendarmerie. Gérald Sawicki confère au propos général une nouvelle dimension, celle de l’action secrète, considérée par les uns comme illégale et par les autres comme légitime. Il en montre la complexité à travers un exemple original et peu connu, celui des actions de sabotage envisagées contre l’Allemagne à la veille de la Grande Guerre. Son article, qui montre bien le lien direct qui existe entre le politique et l’action secrète ou de sabotage, contribue à rendre encore plus délicate la tentative de définition voire de classement typologique des concepts abordés. Ce qui renforce l’attrait de son article. Julie d’Andurain ouvre le champ de la recherche en direction de la "petite guerre" pratiquée pendant la période de la conquête coloniale française. Elle l’étudie sous l’angle de l’acculturation d’une armée occidentale aux pratiques guerrières africaines, ici "soudanaises" dans le sens du XIXe siècle, remarquant à quel point le "dénuement" est facteur d’adaptation. Notons également que l’ambiguïté initiale, liée à la définition des concepts utilisés, réapparaît ici : qui est l’insurgé ? Qui le définit comme tel ? Est-ce que la "petite guerre" de l’un n’est pas simultanément la "grande guerre" de l’autre ? Gilles Krugler aborde quant à lui la question des guerres qualifiées a posteriori d’asymétriques en évoquant l’emploi de la force aérienne lors de la guerre du Rif, alors que, pour le citer, Abd el-Krim cherche à rassembler "toutes les tribus du nord du Maroc en une république fédérale indépendante et moderne". Loin de toute considération éthique ou politique, il pose la question de l’emploi de la technologie dans des "opérations" dont l’objectif est de réduire à néant ce qui est alternativement – et indifféremment – qualifié "d’insurrection", "de soulèvement progressif de tribus", de "conflit", en définitive de "guerre" qui se termine par la capitulation d’Abd el-Krim à Targuist en mai 1926.
Ces articles, comme ceux qui suivent – que nous ne pouvons malheureusement pas développer ici, mais dont nous suggérons fortement la lecture – tendent dans une seule direction. Cette direction est celle d’une recherche approfondie, qui n’existe actuellement que de manière parcellaire dans l’historiographie française, sur l’ensemble des concepts qui gravitent autour de "l’insurrection" et de la "contre-insurrection", non pas parce qu’ils représentent un cadre d’emploi devenu courant des armées occidentales et notoirement de l’armée française, mais parce que leur utilisation irréfléchie peut conduire à des fins étonnantes.
Frédéric GUELTON
Dossier :
- Édouard Ebel : Gendarmerie et contre-insurrection, 1791-1962
- Gérald Sawicki : Aux origines lointaines du "service action" : sabotages et opérations spéciales en cas de mobilisation et de guerre (1871-1914)
- Julie d’Andurain : La "petite guerre" africaine, entre conquête, contre-guérilla et contre-insurrection (1880-1900)
- Gilles Krugler : La puissance aérienne dans la guerre du Rif, Le colonel Paul Armengaud et l’émergence de l’emploi tactique de l’aviation (1925-1928)
- Marie-Catherine et Paul Villatoux : Aux origines de la "guerre révolutionnaire" : le colonel Lacheroy parle
- Benoît Haberbusch : La gendarmerie face à l’insurrection de Bab el-Oued en mars 1962
- Soraya Laribi : Le plan Carrousel, Mesures à prendre en cas de rupture du cessez-le-feu par l’ALN dans le Nord-Constantinois (juin-juillet 1962)
- Stéphane Mantoux : Les "morts vivants" à Cam Ne. Le premier "Zippo raid" de la guerre du Viêt-nam
- Christophe Lafaye : Exemple de contre-insurrection : la fouille opérationnelle en Afghanistan