Dans le récent ouvrage de Laurent Binet, « Rien ne se passe comme prévu », un best-seller publié voici un moi, nous pouvions noter à quelques reprises comment l'information accréditée se fabrique. C'est le charme du bouquin de Laurent Binet, il n'est qu'écrivain, pas journaliste. Tout au long de son ouvrage, sa surprise de citoyen permet quelques petites révélations d'insider. Comme celle-ci, datée du 29 février 2012, quand François Hollande visitait Londres, en pleine campagne. Laurent Binet note ce constat, pas si anodin que cela.
«Fish and Chips au pub du coin, débriefing rituel des journalistes. L'un de ceux du Big Four de la presse écrite nous donne son impression: Moi, je l'ai pas trouvé très chaleureux, Miliband, hein ... " Je persifle: "J'adore vos petites séances d'harmonisation. Demain dans tous les journaux, on aura donc pour titre: 'Accueil glacial pour Hollande'". Le journaliste, avec beaucoup de prescience vu que je n'avais encore jamais abordé cette question avec eux, s'inquiète: "Ah la la, ça y ets, tu vas en faire u un chapitre sur la fabrique de l'opinion ! Moi, j'disais cela juste comme cela. Franchement c'était pas chaleureux." Mais une consoeur de la télé abonde dans mon sens: "Il a raison, sous prétexte de débriefer, on se met tous d'accord."»Evidemment, voici comment l'opinion médiatique se fabrique. Le journaliste accrédité vérifie auprès de ses confrères s'il a la bonne interprétation des évènements de la journée. Quand il a de l'expérience, il peut même installer le ton dominant des comptes-rendus du lendemain. Ces comptes-rendus sont ensuite relayés en cascade par quelques éditocrates - souvent les chefs de service de ces journalistes de terrain.
Cette fabrique de l'opinion est bien connue. Elle est redoutée, détestée, fustigée. Elle est régulièrement décortiquée par des des sites tels Acrimed ou Arrêt sur Images.
Parfois, l'opinion se retourne, ou ne suit pas ces commentaires généraux. On l'a vu en 2005. Parfois l'opinion est manipulée. Comme en 2008, on l'a découvert plus tard. Nicolas Sarkozy avait fait financé quelques 150 sondages politiques dans l'année, ensuite publiés (sans mention du commanditaire officiel) par le Figaro et LCI. Les questions étaient choisies et définies avec Patrick Buisson, au cabinet de l'ancien Monarque.
Actuellement, la « Fabrique de l'opinion » est à l'oeuvre. L'argument est connu et un peu confus: François Hollande deviendrait impopulaire parce que (1) il est contraint à la rigueur; (2) il dévoile une rigueur qu'il n'aurait pas promise, (3) il déçoit parce qu'il est contraint ou retord. Les arguments se contredisent mais à la marge.
Mais la Fabrique n'est pas à cette contradiction près. Pour son appui, elle a toujours les sondages, hier comme aujourd'hui. Cette fois-ci, tous convergent pour dire qu'Hollande deviendrait impopulaire. Quelle surprise ! Sarkozy était impopulaire avant la crise. Hollande le serait devenu après avoir annoncé le plus gros plan de rigueur de l'après-guerre.
Ensuite, et c'est le second temps, d'autres prennent le relais du commentaire: Hollande n'aurait plus de majorité. D'autres glosent sur l'amour contraint du président Hollande avec les écologistes.
Et voici que le droit de vote des étrangers refait surface, à l'initiative de 76 ou 77 députés socialistes qui publient leur réclame d'un projet de loi dans une tribune publié par le Monde. Ceux-là n'ont pas envie d'attendre 5 ans et l'abandon d'une promesse vieille de 30 ans. D'autres, à gauche, dans le camp même de François Hollande, n'apprécient pas une démarche qu'ils jugent déplacée et inutile. A droite, on tombe dans le panneau, on s'engouffre dans la porte ouverte. Le droit de vote des étrangers, sous conditions,
Gageons que la Fabrique nous publiera rapidement, dès ce mardi, l'interprétation qu'il convient d'avoir sur ce fait divers politique: (1) Hollande serait gêné; (2) cette « demande des 76 » serait la preuve des dissensions au sein de son camp; (3) les Français y seraient majoritairement hostiles.
Restons au conditionnel car seul la Fabrique est habilitée à utiliser le présent voire l'impératif d'autorité.