Parfois, on se dit qu'on n'est pas passé loin de louper une lecture extraordinaire, à toujours s'arrêter uniquement sur la couverture d'un livre. Un an que je voyais ce "D'Acier" un peu partout dans les coups de coeurs de mes libraires, refusant de m'y atteler par manque d'atomes crochus avec le dessin en couverture ... Bien m'en a pris finalement !
D'acier démarre sur les chapeaux de roue, avec une première scène décrite comme une observation à la jumelle : un père inquiet espionnant sa fille adolescente Francesca s'amuse au bord de l'eau avec sa meilleure amie. On est en Italie dans les années 2000, dans la Toscane ouvrière - qu'on connait si peu, eclipsée par celle touristique, nettement plus attrayante ; et avec cela le décor est planté. Anna la brune et Francesca la blonde sont inséparables, deux adolescentes presque encore enfants qui goûtent les joies de l'été et la baignade dans leur petite ville industrielle de Piombino. Leurs familles sont comme toutes celles de la ville intimement liées à la Lucchini, l'aciérie qui fait travailler tous les hommes de la région. Entre scène à l'usine et à la ville, on se délecte à suivre Anna et Francesca, leurs frères, leur père, leur mère et ami(e)s, tenter tant bien que mal de s'en sortir dans l'univers et l'avenir plutôt sombre réservés aux habitants de Piombino. Il y a ceux qui se soumettent à cet avenir tout tracé : Enrico, le père brutal, Rosa, la mère asservie, Alessio, le frère beau gosse, Mattia, l'ami résigné... et ceux qui rêvet d'autre chose, de l'île d'Elbe ou de l'université : Anna, Elena, Cristiano, Sandro, Arturo ...
On se repaît de cette description d'une jeunesse désillusionnée et désoeuvrée, dont la justesse tient sans doute à la propre expérience de l'auteure, originaire de Piombino. Ce qui donne au récit son autre intérêt, outre le contexte des hauts fourneaux, repose évidemment sur l'amitié entre Anna et Francesca, entre celle qui par ses bonnes notes et ses ambitions a pu entrer au "lycée classique" et Francesca perdue et amoureuse, qui n'a de rêve que d'être Miss Italie.
Loin de s'adresser uniquement aux jeunes filles en fleur, au contraire, D'Acier étreint par la puissance de son écriture. Son sommet est atteint sans aucun doute dans une des dernières scènes du livre,où l'imminence d'une catastrophe est si bien rendue par l'auteure, nous plongeant intégralement dans l'ambiance de l'usine, le bruit assourdissant des poches d'acier fumantes et l'affairement des ouvriers qui prélude au drame.
(Disponible en poche).