Il est un des grands tribuns charismatiques de l’histoire de notre nation québécoise Ce fut une campagne référendaire remarquable que celle de 1995 lors de laquelle Lucien Bouchard, selon ses mots, « a amené les Québécois à la frontière de la Terre Promise ».
Aujourd’hui, les plus fervents séparatistes-souverainistes-indépendantistes le critiquent comme s’il était le dernier venu. Certains l’accusent même d’avoir fait perdre cette campagne référendaire alors qu’il l’a littéralement sauvée au moment où elle plafonnait dans l’opinion publique sous la direction du PM Jacques Parizeau. D’autres, aujourd’hui, pour des motifs que je ne comprends pas, mais qui me semblent dictés par des sentiments personnels, ne cessent de chercher à noircir sa carrière d’avocat et d’homme politique.
Cultivé, racé, dynamique, intransigeant, compétent, laconique et tribun persuasif, Bouchard est un homme qui s’est toujours tenu debout. Le début de sa carrière légale est brillant. Jeune avocat spécialisé dans les relations de travail, il est vite reconnu par les dirigeants politiques quelque soit le parti. On lui confie plusieurs tâches importantes où il fait sa marque dont celle, en 1974, de premier procureur de la Commission Cliche créée pour investiguer sur les problèmes dans le domaine de la construction. Les audiences de la Commission sont télévisées, une première au Québec, et Bouchard impressionne les Québécois qui le découvrent et qui apprécient sa rigueur et la clarté de ses propos.
Nationaliste dans l’âme, Lucien Bouchard supporte activement le « Oui » lors du référendum de 1980. Puis, il participe activement à la montée politique de son ami d’université Brian Mulroney qui devient premier ministre canadien en 1983. Bouchard est l’un de ses penseurs et comme « speechwriter » est l’auteur de remarquables discours que Mulroney prononce sur les relations du Québec-Canada.
Nommé ambassadeur du Canada à Paris, il parle beaucoup du Québec. Il est rappelé pour devenir ministre d’état en 1988 puis ministre canadien de l’environnement. En 1990, Bouchard appuie l’accord du Lac Meech parce qu’il situe bien, une fois pour toutes, le rôle du Québec dans la gouvernance canadienne. Mais l’accord n’est pas adopté. Puis, Bouchard est torturé par les modifications à l’accord qui sont proposées par un comité dirigé par le député progressiste-conservateur Jean Charest et qui sont approuvées par Mulroney. Il rompt avec son ami sans l’avertir alors que Jacques Parizeau, à Alma, lit la lettre de démission de Bouchard qui invoque, pour se justifier, la vision de René Lévesque.
Député indépendant, il fonde le Bloc Québécois avec des amis des deux partis canadiens. Ce sera un parti fédéral dédié à séparer le Québec du Canada. À l’élection qui suit, le Bloc, avec l’aide du Parti Québécois (PQ) remporte 54 des 75 comtés et Bouchard devient chef de l’« Opposition officielle de sa Majesté », à la surprise des Canadiens. Un tour de force aussi impensable qu’incroyable. Il profite alors de chaque occasion pour promouvoir le Québec et son idéal de la séparation.
En 1994, Bouchard est amputé d’une jambe suite à l’attaque de la « bactérie mangeuse de chair » qui aurait pu lui être fatale. Les Québécois sont profondément émus. En 1995, lors du référendum, au moment où la campagne du « OUI » va nulle part, les Québécois le réclament. Des foules énormes et enthousiastes viennent à sa rencontre dans tous les coins du Québec et il devient le vrai chef du « OUI » repoussant dans l’ombre le PM Parizeau qui est en manque de charisme. Bouchard propose un pays indépendant associé au Canada, au grand dam de Parizeau qui finalement accepte l’idée. Le « OUI » reçoit 49,4% des votes.
La défaite référendaire est lourde pour Parizeau. Les péquistes veulent sa démission car il voit en Bouchard un nouveau chef capable de les maintenir au pouvoir. Suite aux pressions, Parizeau démissionne. Lucien Bouchard quitte aussitôt le Bloc, est choisi chef du PQ et assermenté comme premier ministre du Québec.
Bouchard déclare qu’aucun référendum ne sera tenu tant que les « conditions gagnantes » ne seront pas réunies pour le gagner. Il entreprend d’assainir les finances québécoises.
Le PQ est réélu en 1998 même s’il obtient moins de voix que le parti libéral. Il poursuit l’opération « déficit zéro » et congédie 30 000 haut-fonctionnaires dans les domaines de la santé, de l’éducation, du transport, de la recherche… Depuis, c’est le bordel partout..
Un ami, chef-chirurgien de Ste-Justine, quitte son travail puisque son équipe d’infirmières est décimée. Un patron du CRIQ m’affirme qu’il doit refuser des essais et des recherches pour des industries car trop de ses chercheurs expérimentés ont été mis à la retraite forcée. Un ingénieur-en-chef du ministère des Travaux Publics me confesse qu’il est devenu presque impossible de contrôler la qualité et les budgets des projets de construction pour les mêmes raisons. Voilà pourquoi, j’ai toujours estimé que Bouchard ne fut pas un bon PM du Québec puisqu’il a coupé exagérément les budgets des ministères sans tenir compte des conséquences que l’on ressent encore aujourd’hui. Il a aussi créé d’immenses et coûteux problèmes à plusieurs municipalités, dont la ville de Montréal, en leur imposant de fusionner et cela sans tenir compte de tous les référendums tenus dans ces villes par lesquels leurs citoyens se sont fortement prononcés contre cette décision.
Certes, il a réussi de bons coups comme les garderies à 7$, Emploi-Québec, un budget balancé… Sous ses mandats, il a contribué à la diminution du chômage et l’économie a repris vie, mais il n’en est pas le seul responsable. Ses actions positives ne sont pas suffisantes pour faire oublier les dégâts qu’il a laissés derrière lui.
En début 2001, les tensions augmentent au PQ et Bouchard donne l’impression d’être fatiguée. Il quitte subitement la politique invoquant toutes sortes de bonnes raisons et devient associé d’une importante étude d’avocats de Montréal, où il roule sa bosse. Malgré son travail, il intervient régulièrement depuis pour donner publiquement son opinion sur des sujets précis et ses sorties démontrent qu’il a toujours hautement à cœur le bien du Québec.
Depuis son départ de la politique, Bouchard est de plus en plus critiqué par les « purs et durs » séparatistes qui rivalisent de mots durs et bêtes pour le dénigrer alors qu’il affirme être toujours péquiste et indépendantiste. Une chose est certaine, il a ses qualités et ses défauts mais ses actions et ses mots ont toujours démontré qu’il est un vrai Québécois.
Je n’ai jamais partagé les opinions politiques de Lucien Bouchard sur la question nationale mais j’ai toujours admiré son intelligence, sa force de caractère, son talent oratoire, sa présence et son sens de démocrate. Comme lui, je suis nationaliste, mais je ne le défends pas de la même façon. Que l’on combatte ses positions sur le développement des gaz de schistes, de l’extraction du pétrole, etc… j’en suis, Mais que les critiques s’attaquent à ce patriote, je crois que c’est infâme et totalement injuste.
Lucien Bouchard a démontré aux séparatistes-souverainistes-indépendantistes qu’ils ont besoin, pour gagner un prochain référendum, d’un chef solide, cultivé, intelligent, au sens patriotique élevé et qui est un orateur populaire à l'éloquence puissante et directe pour persuader les Québécois et Québécoises de renier le Canada. Tant que cette personne ne sera pas au rendez-vous, leur option ne passera pas la rampe.
Bouchard a raison d’affirmer clairement qu’un nouveau référendum ne serait pas gagnant pour le « OUI ». En réalité, il ne fait qu’exprimer hautement, à sa façon, le cri des Québécois lors de la dernière élection générale et leur sentiment exprimé par les sondages depuis quelques années. Actuellement, l’importance est le développement du Québec et c’est là-dessus que le nouveau gouvernement péquiste doit se concentrer. On n’a pas de temps à perdre !
Claude Dupras