Dans cette affaire, une société spécialisée dans la vente de matelas, de sommiers et de literie, a assigné un de ses concurrents en concurrence déloyale et parasitaire en lui reprochant d’avoir réservé et exploité le nom de domaine « chambres-et-literie.com » qui, selon elle, portait atteinte à ses droits antérieurs sur le nom de domaine « chambres-et-literies.fr » en raison du risque de confusion pouvant être généré dans l’esprit du cyberconsommateur.
Déboutée en première instance, l’éditrice du site chambres-et-literies.fr ne s’en laisse pas compter et interjette appel pour demander réparation de son préjudice estimé à près de 100 000 euros en raison de l’atteinte à son image et à sa notoriété, à la perte d’impact de ses investissements promotionnels sur internet et à titre de perte de marge en conséquence des agissements parasitaires dont elle aurait été victime pendant plusieurs mois.
En effet, alors qu’elle exploite le nom de domaine « chambres-et-literies.fr » depuis le mois de septembre 2003 pour présenter son activité de vente dans le domaine de la literie, elle considère que la réservation du nom de domaine « chambres-et-literies.com » en 2005 et son exploitation pour rediriger les internautes vers un site concurrent témoigne d’une volonté évidente de s’accaparer son crédit et sa clientèle et de créer une confusion dans l’esprit des internautes qui effectuent une recherche sur la dénomination « chambres et literie ».
La Cour ne retient pas l’argumentaire de l’appelante et ne voit aucune faute caractérisant un acte de concurrence déloyale dans les pratiques dénoncées.
Ce faisant, la Cour confirme une jurisprudence constante en la matière (voir notamment les précédents « pompesfunebres » ou bien encore « hoteldecharmetoulouse ») en rappelant que si un nom de domaine est susceptible de protection sur le fondement de l’article 1382, et ce pour éviter un risque de confusion, il doit toutefois être distinctif au regard de l’activité proposée sur le site.
En l’espèce, elle considère que « le nom de domaine qu’elle a choisi, ‘chambres-et-literie’, qui n’est que la juxtaposition d’un article et de mots du langage courant, évoque l’objet même de l’activité » de vente de matelas, de sommiers et de literie des parties ;
précisant qu’il importe peu que « les parties ne vendent aucun mobilier ou objet de décoration pour la chambre, la literie se rapportant nécessairement à la chambre dans l’esprit du consommateur ».
Pour les magistrats, « les termes « chambres » et « literie » s’apparentent à des mots clés » et le nom de domaine « chambres-et-literie.fr » ne saurait donc permettre l’identification d’une entreprise particulière, de sorte que la réservation ultérieure par un concurrent d’un nom de domaine similaire n’est pas constitutive d’une faute pouvant fonder une action en concurrence déloyale.
Cette nouvelle décision doit une nouvelle fois servir à casser les idées reçues de bon nombre d’acteurs de l’e-commerce qui pensent que la réservation et l’exploitation d’un nom de domaine, quel qu’il soit, peut leur permettre d’empêcher la concurrence d’exploiter des noms de domaine identiques ou similaires.
Les droits conférés par l’exploitation d’un nom de domaine sont en réalité limités lorsque le nom de domaine est générique ou descriptif.
Ainsi, sauf à démontrer une faute dans l’exploitation de ces noms (charte graphique de site portant à confusion, absence de mention légale accentuant la confusion sur l’origine des produits et l’identité de l’éditeur,) ou bien encore des circonstances particulières (réservation frauduleuse en raison de liens contractuels ou commerciaux, acquisition de caractère distinctif par l’usage), le titulaire d’un nom de domaine générique ne peut pas empêcher ses concurrents d’exploiter des noms de domaine identiques ou similaires.
Mieux vaut alors prévenir que guérir en réservant le maximum de variations du nom (singulier, pluriel, avec ou sans « – ») et d’extensions disponibles.
Comme en matière de marque, les stratégies de réservation et de gestion de noms de domaine doivent être pensées en fonction des évolutions jurisprudentielles pour que celles-ci soient efficaces et que la force marketing ne se transforme pas en talon d’Achille juridique.
Source :
A propos de CA Versailles, 17 juillet 2012, RG n°11/01111