Voici une histoire de famille. Encore une, serait-on tenté de dire. Chaque auteur, tôt ou tard, nous gratifie de sa petite saga, soit pour encenser un parent qui était presque toujours le meilleur du monde, soit pour laver en public le linge sale d’un aïeul. Il y a même des spécialistes en albums photos. Souvent ces récits ont une allure personnelle, voire narcissique. C’est follement gai de remuer ses souvenirs. Il reste que le lecteur assiste pantois à ce grand déballage. Pour sortir de ce piège, il faut un passé insolite, un talent particulier. L’auteure de « Tout ce silence » possède ces deux atouts.
À la fin de la guerre, une jeune femme quitte son Italie natale bien aimée, pour s’installer à Liège en Belgique. C’est le sort de milliers de personnes. Dans le sud, il y a les ruines de Mussolini. Dans le nord, il y a le charbon, la sidérurgie, du travail à foison… Mais du travail de forçat. Liège est une cité industrielle florissante. Les usines Cockerill tournent à plein régime, et autour, une vaste constellation d’entreprises s’est créée. Le déclin ne tardera pas, et la région restera traumatisée, attachée à son industrie, son socialisme, ses élus dévoyés.
En 1946, la jeune immigrée épouse un homme selon les us et coutumes de l’époque, sans trop se préoccuper des sentiments. Elle aura des enfants, devra affronter plusieurs deuils… Nous la retrouvons des décennies plus tard. La vie a passé sur elle comme un laminoir. Elle a connu des drames, a vu tout le monde autour se perdre, s’affoler, se suicider. Elle a résisté. Nonna est toujours là. Elle a vécu une vie d’abnégation, de silence. Elle s’est consacrée aux autres. Mais la voilà dévastée par un mal qui s’annonce fatal. Nonna en a vu d’autres, mais cette fois, c’est la fin. Sa petite-fille, qui est aussi la narratrice, était à son chevet. Elle nous conte la vie et la fin de cette femme têtue, par chapitres entrelacés, sautant de la souffrance du passé aux douleurs du présent. Sa petite-fille lui a fait une promesse : sa Nonna n’ira pas à l’hôpital. Un serment bien difficile à tenir…
L’auteure raconte avec une simplicité touchante les soucis de cette mamie comme les autres et pourtant si singulière. Immersion tour à tour dans les affres de la vie d’ouvrier immigré, puis dans la relation compliquée d’une petite-fille avec sa grand-mère malade. Tout ceci avec beaucoup d’authenticité, et dans une écriture qui touche à chaque ligne… Ce n’est plus de l’écriture, c’est de la magie.
« Elle me fait promettre que je ne la forcerai pas à quitter sa maison. Je la rassure et, pour la première fois, je lui mens. Je l’embrasse tendrement et referme doucement la porte. Ça y est : le cancer s’apprête à nous emmener sur sa route, et je n’ai pas d’autre choix que de l’y accompagner. »
Tout ce silence de Véronique Gallo. Éditions Desclée de Brouwer
Date de parution : 30/08/2012