1ère de couverture Infidèles Abdellah Taïa. Editions SEUIL
Auteur engagé, icône subversive, Abdellah Taïa a de la combativité littéraire et nous livre avec Infidèles, son nouveau roman paru au Seuil, une poignante variation sur le profane et le sacré. Eblouissant – et oserais-je dire formant un tout – le premier chapitre nous offre à lire l’un des plus beaux portraits de la littérature contemporaine, celui du cœur nu et indigné de Jallal, garçonnet sacrifié crachant sa haine à la figure d’un Maroc qui condamne le corps féminin autant que le plaisir coupable. Fils de Slima, trop belle catin orientale, Jallal vénère cette mère qui sait que nos corps indiquent le chemin. Slima, grandiose et miséreuse, enfant trouvée, recueillie par Saiadia, prophétesse du sexe, elle-même prostituée. Transmission des savoirs, des secrets des vagins qui s’offrent ou se vendent. Le sexe des femmes se goute comme l’ultime rédemption à l’asservissement, la corruption ou encore les tabous d’une société en quête de piété.
Mauvaise herbe, Jallal pousse parmi les soldats, ceux qu’il cherche et trouve pour le commerce de sa mère. Un soldat, une femme, un enfant. Réunis, enfin heureux, ils aiment le cinéma. Celui de Marilyn Monroe, l’icône de l’autre monde, la femme à la chevelure de feu au regard triste. Marilyn chante la rivière sans retour, laissant derrière elle les chaussures rouges de son passé. Un homme, son fils, une chanteuse, des indiens, un radeau…et une rivière. Jallal et Slima rêvent d’un autre monde, celui que le Maroc ne peut leur offrir. Terre ocre totalitaire souillée par le silence, celui imposé par une armée écrasant de sa botte le besoin de croire. Torturée, humiliée, Slima payera pour avoir aimé. Trois années d’outrages, loin de son fils. Viendront le temps de l’exil au Caire et celui plus exalté de la foi. Enfin, croire. En quelque chose, croire en la lune, croire en un prophète irradié, croire en l’explosion de l’amour. Faire erreur. Mais croire jusqu’au bout, sans aucune mesure, jusqu’au lit de la rivière. La rivière sans retour.
Avec ce très beau texte d’une poésie charnelle dénuée de grandiloquence, une poésie de poussière et de lointains déserts, Abdellah Taïa explore le pur et l’impur et évoque sans pudeur les instincts de nos corps. Occidentaux ou orientaux nos corps ne savent-ils pas depuis toujours ce que nos âmes égarées implorent ? Hommage à la femme, celle des temps immémoriaux, Infidèles est un voyage au pays sans mille et une nuits. Longues et âpres sont les nuits pour les infidèles, celles et ceux en quête de sens, en quête d’autre chose. Autre chose, ce qu’ils aiment, ce qu’ils veulent, ce qu’ils crient, ce qu’ils ne sont pas en droit de conquérir. Intensément mélancolique, ce roman souffle sur les braises des obscurantismes en tout genre et offre sa sève liquoreuse à la diversité des croyances. Les racines du mal ne sont que dans l’ignorance de l’amour, celle-là même qui finit par consumer l’actrice aux cheveux de feu. « Devant elle, ils n’ont plus honte les hommes. Ils lui disent tout. Les mots orduriers, les désirs enfouis. Les lâchetés quotidiennes. Les secrets des parents. Elle prend tout. Les sourires. Les crachats. Les larmes. Les arrogances. Les doutes. Elle traverse le monde pour nous ».
Informations pratiques :
Auteur : Abdellah Taïa
Editions : Seuil
Nombre de pages : 188
Prix France : 16,50 euros