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Chili : les mots des autres

Publié le 16 septembre 2012 par Anthony Quindroit @chilietcarnets
Bertille Hausberg

Bertille Hausberg traduit depuis près de vingt ans l’essentiel de la littérature chilienne arrivant en France (photo DR pour “Chili et carnets”)

Si Sepúlveda a gagné ses galons d’auteur en France, c’est en partie grâce à une femme : Bertille Hausberg. Son nom apparaît sur les quatrièmes de couvertures de bon nombre de romans chiliens. Dans l’ombre, elle décortique et traduit une grande part des livres d’auteurs du Chili. Elle côtoie les grands noms de la littérature chilienne – Angel Parra est de ses amis et vante volontiers son travail – et fait partie des traductrices les plus réputées pour ce qui est de l’Amérique latine. Bertille Hausberg a même, distinction étonnante dans le milieu des traducteurs, décroché le prix Rhône-Alpes du Livre en 2006 pour sa traduction de Sartre et la Citroneta de Mauricio Electorat.
Alors qu’elle revient aux sources avec la sortie en librairie du nouveau livre d’Hernán Rivera Letelier – L’art de la résurrection (chronique à lire prochainement sur Chili et carnets) – et que de nouvelles traductions sont en cours, Bertille Hausberg revient sur sa carrière, sa méthode et son goût pour les livres venus du bout du monde. A 71 ans, elle garde sa passion intacte.

Comment êtes-vous devenue traductrice française de la plupart des livres chiliens ?
Bertille Hausberg : “Je ne l’avais jamais envisagé ! Je suis né en Algérie. J’y suis restée jusqu’en 1970. Je croyais en une Algérie nouvelle et cela n’a pas marché. Quand je suis arrivée en France, j’avais 29 ans. Je pensais plutôt écrire mes propres livres. Je n’avais peut-être pas assez d’imagination. Mais, de formation, j’étais aussi professeur d’espagnol. Et, quand les premiers réfugiés politiques chiliens sont arrivés en 1973 après le coup d’Etat, je faisais du bénévolat dans une association d’accueil. Je me suis trouvée avec eux. J’ai aimé leur instinct de vie, leur volonté de faire la fête… Et je me suis intégrée. Ils sont devenus mes meilleurs amis.”
Quelle a été votre première traduction ?
“Les éditions Métailié cherchaient des traducteurs. C’était en 1993. Mon premier travail, c’était sur Hernán Rivera Letelier avec La reine Isabel chantait des chansons d’amour. Mon intronisation ! Il fallait respecter le langage des mineurs. Je suis allée au Chili, rencontrer l’auteur, aux mines d’Antofagasta où il m’a accompagnée. Puis, je suis allée au Sud, la Région des lacs, la Patagonie… J’ai découvert un pays extraordinaire.”
Comment être un bon traducteur ?
“Pour bien traduire un texte, il faut en tomber amoureux. Bien sûr, il faut bien connaître la langue de départ et bien manier celle d’arrivée. Mais aussi maîtriser la culture du pays. Un exemple. Au Chili, il y a un fruit de mer appelé le “Loco”. Cela signifie aussi, en espagnol, fou. Un jour, dans un roman chilien, l’auteur évoquait des cendriers en coquilles de loco. Dans la version française du traducteur, c’est devenu “des cendriers en crânes de fou…” Il ne suffit pas de connaître une langue pour la traduire. Il faut connaître le pays. C’est d’ailleurs pour ça que je me concentre sur le Chili. J’ai traduit deux livres argentins, mais je ne m’y connais pas suffisamment. Je ne pense pas que l’espagnol du Chili ait plus de difficultés qu’un autre. Mais il est aussi en constante évolution”
Combien de traduction à votre actif ?
“Environ une trentaine. Tous les Rivera, six ou sept Sepúlveda, tous les Ramón Díaz-Eterovic… Ceux d’Angel Parra aussi, un ami, qui m’avait fait lire ses premiers écrits avant d’être publié. Chez les traducteurs, il y a deux écoles. Il y a ceux qui disent “C’est ma lecture du texte”. Moi, j’ai besoin d’être en contact avec l’auteur. Tous ceux que je traduit sont devenus des amis.”
Qui est le plus difficile à traduire ?
“Rivera ! Il alterne la langue parlée du Nord et le lyrisme avec un rythme, un souffle… Pour son premier, j’ai mis neuf mois à finaliser la traduction.”
Comment a évolué la littérature chilienne ?
“Pendant longtemps, elle n’était que littérature de témoignage, après le coup d’Etat de Pinochet. La nouvelle génération, que je connais moins, semble passer à autre chose. Mais c’est le contraire d’une littérature nombriliste : c’est un témoignage, un engagement. Rivera est l’un des rares à avoir parlé des grèves des mineurs matées dans le sang.”
Sur quoi travaillez-vous ?
“Sur le livre d’un auteur que je ne connaissais pas. Rafael Gumucio avec La deuda, La dette. Original dans la mesure où l’on évoque plus la société d’après Pinochet avec la toute puissance de l’argent.”
Traducteur est un métier de l’ombre. Quelle satisfaction en tirez-vous ?
“J’ai quelques “fans” qui, à l’occasion, m’envoient des messages. J’ai surtout la satisfaction de voir des auteurs me remercier pour le travail réalisé autour de leurs livres. Et j’aime travailler avec des éditeurs qui prennent des risques avec certains auteurs, comme les éditions Métailié avec qui je travaille souvent.”


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