Morceaux choisis - Jean de la Croix

Par Claude_amstutz

Par une nuit profonde,
Etant pleine d'angoisse et enflammée d'amour,
Oh! l'heureux sort!
Je sortis sans être vue,
Tandis que ma demeure était déjà en paix.
 
J'étais dans les ténèbres et en sûreté
Quand je sortis déguisée par l'escalier secret,
Oh! l'heureux sort!
J'étais dans les ténèbres et en cachette,
Tandis que ma demeure était déjà en paix.
 
Dans cette heureuse nuit,
Je me tenais dans le secret, personne ne me voyait,
Et je n'apercevais rien
Pour me guider que la lumière
Qui brûlait dans mon cœur.
 
Elle me guidait
Plus sûrement que la lumière du midi
Au but où m'attendait
Celui que j'aimais,
Là où nul autre ne se voyait.
 
Ô nuit qui m'avez guidée!
Ô nuit plus aimable que l'aurore!
Ô nuit qui avez uni
L'aimé avec sa bien-aimée
Qui a été transformée en lui!
 
Sur mon sein orné de fleurs,
Que je gardais tout entier pour lui seul,
Il resta endormi,
Et moi je le caressais
Et avec un éventail de cèdre je le rafraîchissais.
 
Quand le souffle provenant du fort
Soulevait déjà sa chevelure,
De sa douce main
Posée sur mon cou il me blessait,
Et tous mes sens furent suspendus.
 
Je restai là et m'oubliai,
Le visage penché sur le Bien-Aimé.
Tout cessa pour moi, et je m'abandonnai à lui,
Je lui confiai tous mes soucis
Et m'oubliai au milieu des lis.
 

Jean de la Croix, Oeuvres spirituelles (Seuil, 1999)

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