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Hier soir, j’étais au Blanc-Mesnil pour assister à un concert donné dans le cadre du festival Banlieues Bleues.
C’est marrant la banlieue, on a toujours l’impression que c’est loin, mais aller de Montreuil au Blanc-Mesnil, c’est parfois moins galère que d’aller au New Morning…
Bref, hier c’était dans un lieu dénommé le Forum et la salle, Barbara. C’est fou comme les lieux culturels en banlieue portent souvent des noms qui se veulent des étendards de citoyenneté ou de morceaux du patrimoine français. Bref, des noms pas très inventifs. Passons. A l’intérieur de ce « Forum », un bar, avec un mec derrière le comptoir qui considérait sans doute qu’être complètement à la masse était le signe d’une implication artistique certaine…Eh non mec, quand on est derrière un bar, c’est pour être efficace, de la même façon qu’un artiste sur une scène doit l’être.
Passons à la musique.
La première partie était un hommage musical à Hendrix, assuré par trois contrebassistes à la proximité musicale certaine. C’était fin, entraînant, intelligent et le tout sans se prendre au sérieux, ce qui ne gâte rien.
Mais rentrons dans le vif du sujet et le pourquoi de notre présence : Jack DeJohnette. Car c’est de lui qu’il s’agit. Pour faire bref, c’est un des grands batteurs de jazz de ces 50 dernières années.
Hier soir, il était entouré d’un bassiste électrique, d’un guitariste à double guitare et de deux cuivres - ce modèle si typiquement américain du musicien polyvalent, qui passe du clavier à la trompette en passant par les bidouillages électroniques, costume et chapeau noir, le chic à l’état brut.
Cinq personnes sur scène pour un projet unique : rejouer la bande-son du film Jack Johnson, diffusé en arrière-scène sur un grand écran. Jack Johnson, c’est le premier grand sportif noir américain, un boxeur d’élite, amateur de voitures de courses, Dandy épris de jolies femmes blanches dans un univers (début du 20e aux USA) où le KKK n’était pas un rite folklorique. Bref, le genre de gars qui déchainait les passions. Un homme qui disait « Je suis noir et ils ne me laisseront pas l’oublier. Je suis noir et je ne les laisserais pas l’oublier » ne pouvait qu’inspirer Miles Davis, qui sort en 1970 l’album Tribute to Jack Johnson (sur lequel joue DeJohnette...), formidable hymne électrique à la mémoire du lutteur.
Hier soir donc, grand moment de musique. Il fallait voir DeJohnette accompagner de ses baguettes les punchs que l’on voyait à l’écran assénés par Johnson à son adversaire de l’époque. Il fallait voir DeJohnette jouer tel un chat sur les images de Charlie Chaplin boxeur. Il fallait les entendre, frénétiques, accompagner ces images de course automobile dont était si amateur Jack Johnson. C’était hier soir au Blanc Mesnil, un grand moment de musique, rare par définition. Et comme le disait si bien Eric Dolphy « When you hear music, after it's over, it's gone, in the air. You can never capture it again ».