On ne sait plus si on est totalement objectif lorsqu'on parle du festival pyrénéen qui, année après année, continue de tracer son sillon loin des habituelles programmations estivales. Ce qui est certain c'est qu'il exerce un charme que le bouche à oreille ne cesse de confirmer. Refusant la dictature de la fréquentation, les organisateurs ont une fois de plus préparé une programmation mêlant sensations fortes et instants délicats. Retour sur cette 22ème édition en 4 temps.
Radian
Radian ouvrait cette année la programmation officielle du festival. La musique du trio autrichien est assez représentative des esthétiques que l’on trouve à Jazz à Luz. Il y a d’une part le free-jazz où chaque son ou combinaison est savamment dosé, et de l’autre la rage du rock, le tout passé à la moulinette électronique.
Un peu comme lorsqu’on écoute certains morceaux de Steve Reich il y a quelque chose de passionnant à suivre ces musiciens qui ont défini des règles et s’y tiennent rigoureusement. Chez Radian il s’agit de maintenir une tension en faisant se répondre microrythmes et glitchs, sons secs et vibrations de cordes, silences et saturation. C’est coupé, précis, tranchant, aride parfois même. La batterie de Martin Brandlmayr traitée par ordinateur occupe une place centrale. Ses séries de frappes et frottements géométriques se succèdent dessinant des verticales, des horizontales ou des cercles. Une musique mathématique donc, mais qui n’a pas délaissé les hormones pour autant et sait se révéler extrêmement puissante et bruyante lorsque la guitare, la basse et les machines rugissent à l’unisson.
Kourgane
Restons sur les rugissements. Car la musique de Kourgane est presque guerrière. Lorsqu’on donne le nom de « Corps de chasse » à un album c’est que l’on a envie d’invoquer quelque chose d’instinctif et de primaire.
En repensant au concert qu’ont livré les palois cette nuit l’image qui vient en premier à l’esprit est celle de 4 musiciens tapis dans l’angle de la salle des voûtes, pressés par quelques 200 assaillants, et s’efforçant de les tenir a distance à coups de déflagrations sonores et de hurlements rageurs. Deux guitares saillantes, une batterie martiale et un chant habité qui laisse imaginer l’admiration que voue Frédéric Jouanlong-Bernadou aux expérimentateurs vocaux que sont Phil Minton, Mike Patton ou Ghédalia Tazartès. On a beau ne pas être adepte de noise, difficile de ne pas succomber à cette énergie, surtout que le son est d’une qualité exceptionnelle. Le concert clôturait la première soirée, ce fut de la plus belle et furieuse des manières.
Balade musicale du samedi
Après la guerre, quelques moments de douceur. Tout au long de ce samedi après-midi divers endroits du village accueillaient simultanément des mini-concerts, l’occasion de faire se croiser les artistes sur le terrain de l’improvisation . On pouvait donc déambuler au gré de son humeur ou bien préparer son parcours. Parmi les propositions, les 22 membres du collectif « La pieuvre » jouant en continu une note, ou interprétant une pièce nommée « Démocratie » dans laquelle chacun devient chef d’orchestre , Didier Lasserre et Mathias Pontevia improvisant autour d’une batterie entre les murs exigus d’une impasse, ou encore Martin Hacket et David Bausseron , sortis de La pieuvre, manipulant sous le soleil photorésistances, guitares et objets préparés pour une performance poético-noisy.
Un après-midi entre légèreté et étrangeté auquel succèdera une soirée elle-même sous le signe de l’étrange. Le collectif Arfi donnait un ciné-concert sur le film « Le Bonheur » d’Alexandre Medvedkine. Une expérience qualifiée de ciné oratorio surréaliste qui s’est avérée être captivante, la présence pour l’occasion à la voix de Ted Milton n’étant pas étrangère à cette sensation et imposant une atmosphère plutôt inquiétante.
<div style="background-color:red;color:white;width:160px"><strong>JavaScript est désactivé!</strong><br/>Pour afficher ce contenu, vous devez utiliser un navigateur compatible avec JavaScript.</div>
Adobe Flash Player non installé ou plus vieux que 9.0.115!Barry Guy
Barry Guy se présente ce dimanche matin sur la grande scène à l’heure normalement dévolue à la messe. Sa contrebasse à la main, il est tout de noir vêtu, yeux fermés et bouche entrouverte, et du haut de ses 65 ans il semble retrouver ses instincts d’enfant, caressant son instrument, le tapotant délicatement, faisant grincer plus violemment ses cordes à coups d’archer, prenant de la distance pour le faire résonner ; il célèbre l’instant présent. Parfois deux ou trois notes dessinent une mélodie, étirant le temps, et nous invitant au recueillement, les sourires charmés apparaissent alors dans le public. Mais cela ne dure pas, car Barry Guy aime la fantaisie, et puis, comme à l’écoute de ce qui le traverse, il a besoin de laisser parler le désordre, calmement et simplement.
Le monsieur dégage une sérénité incroyable alors que rien ne semble pouvoir arrêter ses gestes vifs.
On est quelque part entre l’expérience musicale et spirituelle. Un vrai moment de grâce.
Il faut reconnaître notre méconnaissance de la scène jazz contemporaine, pourtant on guette chaque année les découvertes que le festival nous glissera sous la dent. A revers de ce que l’époque propose, eux nous parlent du temps et de l’existence avec une simplicité déconcertante, et surtout avec une implication et une générosité qui leur sont propres. On aime et on soutient, tout comme ce mélange de genres qui fait l’identité de Jazz à Luz.
Et on attend impatiemment l’année prochaine.