Sac au dos, pipe au bec et bâton de marche à la main, sans guide (« c’est là la bonne façon »), les deux compères arpentent le territoire qui s’étend de Vannes à Rennes en passant par la Pointe-du-Raz. A pied le plus souvent, en carriole quand l’aubaine se présente, ils vont de ville en ville, à travers champs et marais ou bien longeant le littoral. Le soir ils s’arrêtent à l’auberge ou encore dans des pensions, à leurs risques et périls car le gîte comme le couvert ne sont pas toujours à leur goût et quand la ressource manque, dorment à la belle étoile. Curieux de tout, mais quand on voyage c’est bien le moins, ils visitent les églises, admirent les menhirs et les paysages, s’instruisent au contact des autres comme lorsqu’ils tombent par hasard sur des ouvriers verriers en plein travail.
Insensibles à la météo, qu’il pleuve ou que le soleil les crame sur la route, le temps est avec eux et ils le prennent, « … nous décrétâmes de suite que Carnac nous plaisait et que nous y resterions quelque temps ».
Pour autant, l’un comme l’autre, ne sont pas des « touristes » béats d’admiration devant tout ce qu’ils voient. Même Flaubert finit par en avoir marre des églises ! « Je suis fatigué des légendes et non moins des églises ». Enfin quelqu’un qui avoue franchement ce que tout le monde pense tout bas quand il visite cette belle province.
Ce sont d’ailleurs leurs réflexions diverses et leurs railleries qui font le véritable intérêt de cet ouvrage. A cette époque la Bretagne semble une contrée exotique, langue, traditions (« il n’en est pas ainsi chez nous »), costumes, tout est sujet d’étonnement et vaut à leurs habitants ce qualificatif peu amène, « ces sauvages de la basse Bretagne ». Ou encore cette remarque pleine d’humour à propos d’un évêque peint sur un tableau d’une église de Quimperlé, « son corps se dessinant sous les draps avec une gentillesse charmante qui rappelle le galbe d’une andouille vue à travers un torchon mouillé » ! Une autre fois, amenés par hasard à soigner une blessée avec les moyens du bord, Flaubert avoue très pince sans rire, « Il est très possible que cette compression violente ait causé la gangrène et que la patiente en soit morte ».
A me lire vous allez croire qu’il s’agit d’un récit désopilant, n’exagérons rien. D’ailleurs je n’irai même pas jusqu’à vous le recommander, car il peut être lassant parfois. L’idéal serait de pouvoir le consulter lors d’un voyage en Bretagne, comparer ce qu’ils voient avec ce qui subsiste de nos jours, ou encore vous attarder à lire les passages sur les sites ou villes que vous connaissez parfaitement. Donc un livre qui ne manque pas d’intérêt, mais sous conditions.
« … ils ne purent croire que nous fussions des messieurs cheminant à pied pour leur récréation personnelle, cela leur paraissait inouï, absurde ; nous étions des dessinateurs ou des leveurs de plan qui voyageaient par ambition pour faire mieux que les autres et gagner par là la croix d’honneur ; nous étions salariés par le gouvernement pour inspecter les routes et surveiller les allumeurs des phares ; nous avions une mission secrète, un travail clandestin que nous ne voulions pas dire afin de surprendre les gens et de faire notre coup ; il y avait en nous quelque chose d’incompréhensible, de contradictoire et de ténébreux, et nous les effrayions presque, tant nous leur semblions étranges. Non, vive Dieu ! rien de tout cela ne nous pousse. Nous ne sommes que des contemplateurs humoristiques et des rêveurs littéraires. »