L’argument du comité d’initiative était que le territoire suisse, et notamment alpin, était victime de « spéculateurs » (mot martelé par F. Weber) dont la seule volonté aurait été de dégager de juteux bénéfices, avec pour conséquence une construction massive et sauvage de résidences secondaires. En fixant la limite de ces résidences à 20%, l’écologiste, jamais a court d’idées farfelues, a pour objectif de faire cesser ce bétonnage et retrouver le monde des bisounours dont il a toujours rêvé.
Quand vous partez en vacances, à la montagne comme à la plage, vous avez envie de prendre du bon temps, déstresser, et surtout ne pas être entassés comme des sardines, avec votre voisin d’à côté qui dégage une odeur mélangée de transpiration et de crème solaire. Ecolo ou pas, on cherche tous un joli petit coin de paradis, avec quelques infrastructures quand même, mais dont le tout reste à taille humaine.
Voilà le genre d’images qu’on nous a servi durant la campagne. On y voit le village de Verbier, célèbre station du canton du Valais, de haut. La photo est bien ciblée sur le centre de la station, avec aucun aperçu des alentours. En voyant ce cliché, si j’étais genevois, et que je ne connaissais pas ou peu le Valais, j’aurais immédiatement voté oui à l’initiative. C’est un peu comme si l’on vous proposait de limiter le nombre de plages privées sur le bord de la Méditerranée. Vous auriez hésité vous ?
Verbier - photo : Swisscastles
Prenons un peu de recul, à tous points de vue. Verbier n’est certes pas le meilleur exemple de développement harmonieux avec la nature, et ce n’est pas pour rien que ce village a été instrumentalisé durant toute la campagne. Pourtant si l’on prend un angle plus large, la même station paraît soudain déjà beaucoup plus conviviale…
Verbier - photo : Alain Nicod
Curieusement, on ne nous a jamais parlé de la plus célèbre station valaisanne, Zermatt, dans laquelle les voitures sont interdites et qui n’est accessible que par le train. Le village est un modèle de développement qui s’est fait en harmonie avec le paysage. La commune compte pourtant 45% de résidences secondaires et les touristes qui s’y rendent ne s’en plaignent pas… et on peut les comprendre…
Photo : zermatt.ch
Enfin quand je vous dis qu’on n’en a jamais parlé, ce n’est pas tout à fait vrai… voilà le genre de photo montage qu’on peut trouver sur le site des Verts suisses. Quiconque connaît un tant soit peu cette station sait que jamais ses habitants ne laisseront faire une chose pareille. Utiliser ce genre d’illustrations va bien au-delà de la désinformation, c’est de la manipulation pure et dure des opinions.
Mais continuons notre petit tour d’horizon. En nous montrant uniquement des grosses stations touristiques, on nous a menti non seulement en parole, mais aussi par omission. Prenons Bettmeralp, petite station du Haut-Valais, qui compte elle aussi plus de 20% de résidences secondaires. Comme Zermatt les voitures y sont interdites, et on ne peut y accéder que par… téléphérique. Au fait téléphérique, ça rime avec féerique, non ?
Bettmeralp - photo : myswitzerland.com
J’en n’ai pas fini. Grächen, toujours dans le Haut-Valais, et toujours plus de 20% de résidences secondaires. Je sais pas vous, mais on est quand même très loin d’un tourisme de masse genre Rimini…
Grächen - photo : schweizer-illustrierte.ch
Ci-dessous, toujours dans le Haut-Valais, Leukerbad, 72% de résidences secondaires, connue pour ses sources thermales et ses « petits » soucis financiers de l’époque. Si les méchants spéculateurs de Franz Weber sont passés par là, il faut croire que les eaux thermales les ont passablement assagis…
Leukerbad - photo : switzerland-trips.com
Mais assez parlé des stations, le Valais, principal visé par l’initiative Weber, compte un nombre incalculable de régions de montagnes peu peuplées. Beaucoup d’habitations sont des chalets que les valaisans ont hérité de leurs parents, et qui sont donc des résidences secondaires. Puisque peu d’habitants vivent en permanence à l’année dans ces régions, la proportion de résidences secondaires y est forcément importante.
Le Lötschental, même s’il est particulièrement sauvage et préservé du tourisme de masse, traverse pourtant cinq communes qui comptent chacune plus de 20% de résidences secondaires. Donc si par hasard vous aviez envie de vous y construire un petit foyer pour vos week-ends et vos vacances, vous pouvez oublier.
Lötschental - photo : Ronald Zumbühl, picswiss.ch
Même chose dans la Vallée de Conches, qui a misé sur le tourisme pédestre et le ski de fond. Malgré sa faible densité de population, tout passionné de nature que vous pourriez être, grâce à Weber, c’est foutu pour y construire votre chalet.
Vallée de Conches - photo : Michel Azéma, Funimag - DFB
Toutes les communes du Val d’Hérens possèdent également plus de 20% de résidences secondaires. Les Hérensards ont toujours privilégié le tourisme doux à celui de masse. Vélo, raquettes, randonnée, ski de fond et peau de phoque y sont rois. Fruit d’une collaboration entre la commune de Saint-Martin, le Canton du Valais et la Confédération Suisse, le projet Ossona est le symbole de cette symbiose avec la nature. Le Val d’Hérens n’a pas attendu Franz Weber pour protéger sa faune et sa flore. Mais encore une fois, et malgré la faible densité de population, vous ne pourrez plus non plus y construire votre petit nid douillet, à moins d’y habiter à l’année…
Photo : Sunna
On le voit dans les photos précédentes on est bien loin des clichés affichés dans la presse durant la campagne de l’initiative. Ceci se confirme de plus belle ci-dessous avec le Val d’Anniviers, dont les communes St-Luc et Grimentz (que l’on voit-ci dessous) sont les communes de Suisse qui comptent le plus de résidences secondaires avec plus de 80%.
En donnant un chiffre totalement arbitraire et en le mettant en relation avec des illustrations délibérément extrêmes, Franz Weber a semé la confusion dans l’esprit des Suisses et les a induits en erreur. On le constate sur les photos ci-dessus, un taux élevé de résidences secondaires ne rime pas forcément avec du bétonnage massif, bien au contraire.
Le Valais compte énormément de régions de montagne peu peuplées, les générations précédentes ayant dû s’exiler dans la pleine du Rhône, sur le canton de Vaud ou à Genève, là où il y a du travail.
Ces générations ont laissé en héritage à leurs enfants des chalets, mayens et mazots. Malheureusement il n’est pas possible d’y vivre à l’année, à moins d’être suffisamment riche pour ne pas devoir travailler. Franz Weber met donc dans le même panier des « méchants spéculateurs » et de simples citoyens qui ont hérité d’une résidence secondaire. Il mélange aussi des stations comme Verbier ou Crans-Montana avec des communes comme Grimentz ou St-Martin. Enfin, il crée une barrière d’entrée qui réserve l’accès aux résidences secondaires aux riches seuls, comme lui.
Si l’on compare la carte de densité de la population ci-dessus avec celle-ci dessous sur laquelle figurent en rouge les communes dont le taux de résidences secondaires dépasse les 20%, on se rend compte qu’elle sont pratiquement identiques, mais à l’inverse. Cela signifie que le problème ne vient pas des résidences secondaires, mais des résidences principales.
C’est en effet le manque de résidences principales qui fait grimper artificiellement le taux et qui suscite la polémique. En fixant une limite arbitraire à 20%, Franz Weber coupe les régions de montagne de leurs revenus. Ce faisant, il crée un surplus d’exode rural qui provoque à son tour une baisse des résidences principales dans ces régions, et donc une montée du taux de résidences secondaires ! C’est le serpent qui se mord la queue.
Franz Weber est né à Bâle. Cette ville au croisement de la Suisse, de la France et de l’Allemagne dégage une vitalité économique considérable, notamment dans l’industrie chimique/pharmaceutique. Malgré le développement de l’industrie, il fait bon vivre à Bâle. C’est une ville riche non seulement d’un point de vue économique, mais aussi culturellement et historiquement. Limiter le Valais et ses résidences secondaires à un cliché discutable de Verbier, c’est un peu comme si l’on limitait Bâle, et même tout le nord de la Suisse, à la photo de Schweizerhalle ci-dessous. Faites voter quelqu’un sur un sujet écolo en lui brandissant ce cliché et vous verrez le résultat…
photo : rts.ch